L’homme révolté
Par Trina Mounier
Les Trois Coups
Avec « Cahier d’un retour au pays natal », c’est un texte à haut risque qu’a choisi Olivier Borle : poème-fleuve, il est l’œuvre de – presque – toute une vie et se présente comme la « fondation de la négritude ». Olivier Borle fait preuve ici de toute l’étendue de son talent.
L’auteur est familier au metteur en scène-comédien qui était déjà l’un des comédiens d’Une saison au Congo monté par Christian Schiaretti l’an dernier. Mais c’est autre chose que d’être seul en scène avec un texte difficile, âpre, riche en onomatopées, en métaphores, en répétitions, mais aussi en volte-face, témoignant tour à tour de l’amour du poète pour les hommes et particulièrement son peuple nègre, et de sa haine pour ces Blancs avides et cruels, pour ces Noirs couchés, veules et dociles, de son irrépressible espoir et de sa profonde désespérance, de sa colère, de sa révolte, de sa rage, tout cela troué d’émerveillements devant la sauvage beauté de la nature. Un texte tout en ruptures de pensée comme de syntaxe, mêlant liberté de la tradition orale et excessive rigueur d’une langue qu’il explore dans ses moindres recoins, débusquant toutes ses extravagances, toutes ses potentielles exubérances et protubérances. Un texte de lutte qui en appelle à un futur de dignité humaine… au bout du petit matin…
Pour faire entendre ce cri dans toutes ses nuances et sa complexité, Olivier Borle sait se faire discret. Devant une sorte de grand panneau gris qui peut évoquer à la fois les murs de la ville et l’impossible retour en arrière, il s’autorise ainsi le dessin sommaire d’une carte du monde marquée du noir du peuple noir, des fleuves qu’il a empruntés et du rouge de son sang. Avec pudeur, il s’efface derrière ce texte immense. Mais il en restitue aussi le lyrisme puissant, les rythmes syncopés que sa voix danse. Face à nous spectateurs, devenus tour à tour compagnons trop soumis, Blancs arrogants, frères humains, il profère invectives, insultes, suppliques et cris ; il caresse la savane, les tourterelles, pleure ces siècles de chairs carbonisées, de dos courbés, fustige la négraille sans fierté, fait naître un continent d’émotions grâce à la beauté brute du poème toujours remis sur l’ouvrage de la vie ; il restitue toutes les facettes, de l’argumentation politique implacable aux images vibrantes d’une faune improbable, d’une flore luxuriante avec ses couleurs, ses odeurs, ses chants.
De toute cette rage, Olivier Borle sait extraire la splendeur avec un art consommé et donne ici une leçon magistrale d’interprétation. ¶
Trina Mounier
Cahier d’un retour au pays natal, d’Aimé Césaire
Le Théâtre Oblique
Mise en scène et jeu : Olivier Borle
Collaboration artistique, production : Clément Carabédian
Scénographie : Benjamin Lebreton
Lumières : Stéphane Rouaud
Assistant à la mise en scène, régie : Sven Narbonne
Photo : © Christian Ganet
L’Élysée • 14, rue Basse-Combalot • 69007 Lyon
Réservations : 04 78 58 88 25
Le 2 octobre et du 6 au 10 octobre 2014 à 19 h 30
Durée : 1 h 20
12 € | 10 € | 8 €