Un suicide nécessaire
Par Alicia Dorey
Les Trois Coups
Daria Deflorian et Antonio Tagliarini illuminent la salle du petit théâtre à la Colline, dans un spectacle grave et bouleversant de simplicité.
Tout commence par un plateau désert. Les secondes semblent durer des heures. Un temps de gêne s’installe. Sans crier gare, deux hommes et deux femmes s’avancent, et l’un d’eux prend la parole : la représentation n’aura pas lieu. C’est à partir de cet étrange moment de complicité que va se tisser la relation entre les comédiens, brusquement redevenus des êtres humains comme les autres, et nous, soudainement pris à partie comme témoins de leur impossibilité à jouer. Débute alors un « non-jeu » de soixante minutes, qui nous raconte le suicide de quatre retraitées grecques, happées par la crise économique et ses conséquences désastreuses sur le futur des « petites gens ». Elles se sont sacrifiées pour que leurs maigres revenus n’alourdissent pas davantage la dette colossale d’un pays au bord de l’implosion.
Miser sur la spontanéité d’une écriture de plateau pour tenter de dire l’indicible : tel semble être le procédé sur lequel repose ce spectacle, créé en 2012 à Rome. La puissance du texte réside dans le fait de ne pas avoir été écrit à l’avance. On a l’impression d’être témoin d’une discussion entre quatre amis en train de faire un point sur leur vie. Ils disent « non », tout comme ces femmes ont refusé l’idée de devenir un poids pour la société. En se donnant la mort, les quatre sexagénaires ont approuvé un système qui les a broyées : en temps de crise, pas de place pour les improductifs. On est saisi par la simplicité tragique de leur raisonnement, jeté sur un bout de papier afin d’expliciter leur geste : face à la réduction de leurs retraites, de la grève des médecins et de la faillite des mutuelles, elles « partent pour ne plus nous donner de soucis ». On rirait presque de leur naïveté, si l’on n’avait pas déjà les larmes aux yeux. Malgré la dureté du propos, on ne sombre cependant jamais dans le pathos, tant le sujet est traité avec humour et dérision.
La richesse du théâtre pauvre
Peu d’éléments de décor sinon un néon pendu de biais, une table et trois chaises. Le but n’est pas de nous montrer le dénuement matériel et moral dans lequel devaient se trouver ces retraitées le soir de leur mort. C’eût été trop facile. Cette grande sobriété a pour effet de nous rapprocher encore davantage des comédiens, tous excellents, qui n’ont plus que leur propre corps pour nous convaincre. Jouent-ils ou non ? La question se pose tant ils semblent présents, devant nous, avec des tourments qui sont les leurs, et une détresse qui nous touche au plus profond de nous-mêmes. Les rares accessoires utilisés sont désarmants d’efficacité : une bouteille de vodka, une boîte de pilules blanches, quatre cagoules et quatre perruques. Revêtus de noir des pieds à la tête, les quatre personnages finissent par se fondre anonymement dans l’obscurité de la scène, comme ces femmes englouties par la noirceur d’un quotidien devenu insoutenable. ¶
Alicia Dorey
Ce ne andiamo per non darvi altre preoccupazioni, d’Antonio Tagliarini et Daria Deflorian
Mise en scène : Antonio Tagliarini et Daria Deflorian, avec la collaboration de Monica Piseddu et Valentino Villa
Avec : Daria Deflorian, Monica Piseddu, Antonio Tagliarini et Valentino Villa
Lumières : Gianni Staropoli
Décor : Marina Haas
Organisation : Anna Pozzali
Photo : © Élisabeth Carecchio
La Colline • 15, rue Malte-Brun • 75020 Paris
Réservations : 01 44 62 52 52
Site du théâtre : www.colline.fr
Métro : ligne 3, arrêt Gambetta
Du 18 au 27 septembre 2015, du mercredi au samedi à 20 heures, le mardi à 19 heures et le dimanche à 16 heures
Durée : 1 heure
29 € | 15 € | 12 €
Une réponse
Merci pour cette belle critique qui donne envie d’aller sur le champ à Paris voir cette pièce !