« Ceramic Circus », Julian Vogel, Critique, Théâtre Silvia Monfort, Paris

2-ceramic-circus-julian-vogel © Jona Harnischmacher

Chic et choc

Léna Martinelli
Les Trois Coups

Entre quête effrénée et moments suspendus, le solo intense de Julian Vogel nous laisse pantelants. Transformant les objets d’argile en partenaires de jeu, ce jeune artiste suisse explore les points de rencontre entre cirque et céramique. Et c’est le choc ! Une brillante recherche sur cette matière à la fois résistante et fragile, métaphore percutante de notre précarité. Une performance exceptionnelle.

Tel un pendule, une grosse boule s’anime au gré du spectacle, entraînant avec lui l’artiste qui tente un numéro sur un vélo désarticulé, avant de glisser sur ses patins à roulettes et de faire danser des assiettes sur des cannes à pêche… Homme-orchestre, Julian Vogel assume tous les rôles, y compris la machinerie, la création musicale et la mise en lumière, multiplie les pièges, détourne les codes du cirque et casse au passage quelques assiettes.

Contre toute attente

De temps, il est beaucoup question dans Ceramic Circus. Déjà, dans China Series, Julian Vogel jouait avec les perceptions du public en mettant en mouvement des objets, dont il révélait les vertus cinétiques (lire notre critique). Ici, il joue avec nos nerfs, montant d’un cran le niveau d’exigence, ajoutant des contraintes, afin d’assumer la partition de façon sonnante et trébuchante, entre longues plages répétitives et suspens insoutenable. Tout en contrastes. On sent l’influence de Jacques Tati pour le rapport incongru aux objets et de John Cage, pour l’aspect répétitif.

La musique constitue le point de départ de cette nouvelle création. « J’ai toujours été sensible aux effets sonores produits par les objets, accessoires et instruments que j’utilise : la mélodie d’un pédalier de vélo, les rythmes métronomiques des pendules, les ritournelles des manivelles mécaniques, les céramiques qui volent en éclat », raconte-t-il.

Ce casse-cou ne teste pas que les limites physiques des objets. Engagé à corps perdu, il n’a pas peur du risque. Tandis que le danger plane (il se cogne d’ailleurs dans la boule), esquive les éclats, marche sur les débris, n’évite ni la casse, ni la chute à vélo, dont le guidon et les pédales sont montés à l’envers… Malgré le chaos apparent et le sentiment d’urgence, tout est d’une grande précision, sans doute grâce à sa formation initiale de jongleur. De manière générale, le niveau technique est élevé.

Chaos incommensurable

En mettant en scène de la sorte la fragilité et le déséquilibre, Julian Vogel fait de la céramique une métaphore de la précarité humaine et de l’effondrement général. Moteur dramaturgique et générateur de tension, ce matériau qu’il est seul à utiliser de la sorte dans le cirque, est aussi exploité sur le plan esthétique. Ce spectacle pourrait s’apparenter à une installation d’art contemporain. Ce circassien ne se définit-il pas également comme plasticien ?

Très moderne, radical, Ceramic Circus se réfère toutefois au cirque traditionnel : le décor et les loupiotes, le numéro d’assiettes chinoises, les roulements de tambour et les applaudissements enregistrés, et évidemment la référence constante à la piste (ça ne cesse de tournicoter et tout est sphérique) évoquent une période révolue. Ainsi, les mouvements se font-ils dans le sens inverse d’une montre. Le jeune homme souhaite-t-il remonter le temps ? En tout cas, avec cet artiste 3 étoiles aux habits de lumière, nous sommes suspendus aux oscillations de ce drôle d’astre. Quand la catastrophe ultime ?

Le titre résonne comme le manifeste de celui qui a fait de la rencontre entre le cirque et la céramique la spécificité de son processus créatif. Tout est réussi : interprétation, écriture, mise en scène, scénographie, bande sonore, lumières… Lauréat CircusNext 2020 / 2021 et artiste associé de House of Panama (NL), Julian Vogel est un artiste à suivre. Il est impliqué dans de nombreux projets européens en tant qu’interprète, dramaturge et producteur de musique. Bref, lui qui fait tout, jusqu’à ses machineries improbables, ses dispositifs sophistiqués, il est aussi brillant que ses tenues chics de scène.

Léna Martinelli


Site de la Cie. unlisted
Écriture et mise en scène : Roman Müller, Julian Vogel

Avec : Julian Vogel
Création sonore : Julian Vogel

Mixing, mastering : Raphael Fluri
Construction : Julian Vogel, Vincent Loubert
Création lumière : Noémie Hajosi
Régie lumière : Noémie Hajosi, Clara Boulis Valence
Régie son : Patrick Chazal, Luis Da Sylva
Dès 7 ans
Duré : 60 min

Théâtre Silvia Monfort • 106, rue Brancion • 75015 Paris
Du 27 novembre au 6 décembre 2025, mardi à 14 h 30, mercredi, jeudi et vendredi à 19 h 30, samedi à 18 heures
Tarifs : de 5 € à 28 €
Réservations : en ligne • Tel. : 01 56 08 33 88 

Avec le Centre culturel suisse. Paris

Tournée ici :
• Les 11 et 12 décembre, Le Sirque PNC Nouvelle-Aquitaine, Nexon 

• Du 15 au 17 janvier 2026, Le Spot & La Ferme-Asile, Sion (Suisse)

• Du 2 au 9 février, Cirque-Théâtre d’Elbeuf PNC Normandie, dans le cadre du Festival Spring
• Les 20 et 21 mars, Le Plus Petit Cirque du Monde, à Bagneux 

• Le 9 avril, Le Théâtre d’Arles
• Fin-avril ou début-mai, tournée au Danemark
• Du 6 au 9 mai, La Comédie de Genève (Suisse)

Photos : © Jona Harnischmacher

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