Cérémonie ouverture, Jeux Olympiques Paris 2024

© JO Paris 2024

JOie : les JO entrent en Seine !

Léna Martinelli
Les Trois Coups

Parfaitement orchestrée, la cérémonie d’ouverture – la première hors de l’enceinte d’un stade – devrait faire date, par ses innovations et la portée de ses messages. Le directeur artistique Thomas Jolly et son équipe ont conçu une manifestation kitsch et bigarrée, considérée par certains comme obcène, mais pleine d’audaces et généreuse, valorisant le patrimoine parisien, des stars populaires et de nouveaux talents. Grâce à eux, la capitale n’a jamais autant mérité son surnom de « Ville Lumière ». Ce 26 juillet, 2 000 artistes ont porté haut les couleurs de la France. Et ça fait du bien par les temps qui courent, des temps sombres et uniformisés.

Déjà, commençons par saluer la performance logistique, en dépit des conditions météo qui ont pu gâcher la fête des personnes in situ, 326 000 spectateurs dans des gradins peu à peu clairsemés. D’ailleurs, j’avoue avoir apprécié être au sec. Sur petit écran, le ballet incessant des parapluies avait aussi son charme ! De la flemme à la flamme olympique !

Chantons sous la pluie

Tandis que dans les lieux stratégiques, l’ambiance rappelait Paris confiné pendant le Covid, on imaginait l’effervescence en coulisses. Puis l’accueil de la foule. Aujourd’hui, en 2024, en plein Vigipirate, réaliser une manifestation de cette ampleur relève du miracle. Ce spectacle étalé sur 6 km, sur la Seine et dans les plus beaux monuments, ce n’est pas rien.

« Facile quand on dispose d’un tel décor », objectiverez-vous ! Justement, ce n’était pas gagné, avec pièges et chausse-trappes à éviter. La contrainte était de taille pour ce défilé fluvial, entre le pont d’Austerlitz et le Trocadéro. Par exemple, impossible d’organiser une répétition générale afin de préserver le secret. Bravo, donc, aux artistes, mais également scénographes, costumiers, techniciens qui ont œuvré dans l’ombre et sous la pluie ! Il y a bien eu quelques déceptions, notamment l’Orchestre de Radio France n’ayant pu se produire à cause de la pluie, mais les adaptations ont été heureuses.

Nike aux fachos

Dès l’annonce de la nomination de Thomas Jolly, les mesures prises pour concrétiser cet évènement ont fait couler beaucoup d’encre. Parfois à juste titre, comme le préavis de grève déposé par une partie des danseurs et danseuses devant participer à la cérémonie d’ouverture afin de dénoncer de « criantes inégalités de traitement ».

Et, depuis, les polémiques enflent : Si la presse internationale salue la performance et la gauche parle de « fierté », de « claque aux obscurantistes »,  des voix à droite s’élèvent, avec plusieurs séquences qui cristallisent les tensions. Pourtant, cette célébration grandiose ré-enchante des cœurs. Tout du moins le temps d’une soirée. Après le désastre politique de ces dernières semaines et ses crispations identitaires, dans un contexte polarisé à l’extrême, elle donne au monde entier l’image d’une France ouverte et inclusive, extravagante, voire délurée, sinon effrontée. Elle dit beaucoup sur les valeurs qui doivent nous animer, envers et contre tout.

Zazie Zizou dans le métro

Zizou bloqué dans le métro, alors que 800 000 voyageurs se voient impactés par les sabotages bloquant le trafic SNCF, c’est évidemment un clin d’œil involontaire. Le lancement se voulait insolite. Il s’avère décalé. Beaucoup de voyageurs sont restés effectivement à quai, le matin. Toutefois, les 205 délégations sportives, au complet, ont pu défiler, depuis la plus petite (Bhoutan et ses 5 athlètes), jusqu’à la plus importante (Brésil). Une impressionnante parade d’athlètes.

Grâce à la mise en scène, la centaine de bateaux a transporté les 10 500 sportifs avec fluidité et mis en scène les plus grandes légendes (Amélie Mauresmo, Marie-Jo Pérec, Tony Parker, Jean-François Lamour…) dans le relais de la flamme. Un sacré défi, parmi tant d’autres.

Allumer le feu !

Thomas Jolly a fait du Thomas Jolly puissance mille : du show, sans lésiner sur les moyens, de la provoc pavée de bonnes intentions, de la fraîcheur malgré les braises. Rien ne l’arrête ! Féru de projets titanesques, il ose donner corps à ses idées les plus folles (lire la critique de Cédric Enjalbert sur Henry VI, de Shakespeare, soit 18 heures à la Fabrica, où il a fait une entrée fracassante dans le monde du théâtre, avant de passer d’autres classiques à la moulinette). Ce surdoué a su tracer une voie ambitieuse, couronnée de succès, n’en déplaise aux grincheux.

Ce marathonien était l’homme de la situation, le bon choix pour éviter « Vive la France ! », Paname Paname, flonflons et cie. Merci, donc, au comité d’organisation de lui avoir donné carte blanche. Cependant n’oublions pas les quatre auteurs qui ont travaillé avec lui, dont le collaborateur de longue date Damien Gabriac, la romancière Leïla Slimani, l’historien Patrick Boucheron, la scénariste Fanny Herrero et bien d’autres créateurs, comme la chorégraphe Maud Le Pladec.

L’équipe de choc a donc imaginé le vol imaginaire de la flamme olympique par un mystérieux acrobate inspiré d’Assassin’s Creed (jeu vidéo du français Ubisoft mondialement connu, qui se déroule dans la capitale pendant la Révolution française). Ce fil rouge a relié les 12 tableaux qui ont raconté un pays riche de sa « diversité », « inclusif », « non pas une France mais plusieurs France », pour célébrer « le monde entier réuni » : « Enchanté » (après le pont d’Austerlitz), « Synchronicité » (en face de Notre-Dame), « Liberté » (face au Pont-Neuf), « Égalité » (sur le pont des Arts), « Fraternité » (sur la passerelle Léopold-Sédar-Senghor), « Sororité » (pont Alexandre-III), « Sportivité » (Grand Palais), « Festivité » (passerelle Debilly), « Obscurité » (pont d’Iéna), « Solennité » (au Trocadéro), « Éternité » (au pied de la tour Eiffel). Soit un récit qui se démarque par «de la joie (…), du mouvement (…), le contraire d’une histoire héroïsée », dans un spectacle foisonnant de références, sans aucune hiérarchie de genres, et déjouant les « clichés » avec « humour ».

Obcène ou hors norme ?

Quitte à faire du monumental, je préfère Thomas Jolly sur cette Seine-là, surtout que, vu le contexte politique, on y a vu des messages forts adressés aux Cassandre et extrémistes en tout genre : l’ouverture avec Zinedine Zidane et Jamel Debbouze ; le bateau des athlètes réfugiés en début de délégation (ils sont 37 à représenter les 100 millions de personnes déplacées dans le monde et à affronter les équipes nationales lors de cette édition des JO) ; la franco-malienne Aya Nakamura accompagnée de la Garde Républicaine, avec l’émergence, devant l’Assemblée nationale, de dix statues en or représentant quelques-unes des femmes françaises qui ont marqué l’Histoire par leur lutte pour nos droits, comme Alice Milliat, sportive de haut niveau dont l’engagement a permis une plus grande présence des femmes aux Jeux olympiques ; la présence de la DJ Barbara Butch, icône LGBT, aux côtés de drag-queens, de deux hommes dont les lèvres s’effleurent…

À l’instar des sports urbains et du handicap, la représentation de personnes jusque-là invisibilisées témoigne d’une certaine mue du monde olympique. Les JO accélèrent cette dynamique. Ces images de liberté ne manquent pas d’audace, alors que 60 des pays représentés prévoient des sanctions pénales à l’encontre des personnes LGBT, allant parfois jusqu’à la peine de mort.

Tous en Seine

En montrant ainsi, de manière spectaculaire et à l’échelle planétaire, la diversité – bien loin du culte des corps normés, voire athlétiques –, l’institution assume ses choix, puisque, selon elle, les valeurs de l’olympisme (excellence, respect, amitié, solidarité, paix) sont illustrées avec panache.

Lors de son discours de la cérémonie, le président du comité d’organisation Tony Estanguet a rappelé « l’immense honneur et responsabilité » de retrouver les Jeux, après la proposition de Pierre de Coubertin de faire renaître les Jeux Olympiques antiques, il y a 130 ans, avant Paris, Chamonix, Grenoble et Albertville : « Même si les discriminations et les conflits dans le monde ne vont pas disparaître, ce soir vous nous rappelez combien l’humanité est belle quand elle se rassemble. Ce soir, vous envoyez un message d’espoir : il existe un lieu où vivent ensemble toutes les nations, les cultures et les religions, nous rappelant que c’est possible ».

Métissages et feux d’arty-fesses

Sur le plan artistique, Thomas Jolly force donc l’admiration. Plutôt que les effets spéciaux, j’ai été amusée par les lieux communs systématiquement revisités et séduite par le mélange des genres. On a bien eu du French Cancan, et même Mon truc en plume, de Zizi Jeanmaire, mais à la sauce Lady Gaga (qui avait chanté, en français, la Vie en rose, standard d’Édith Piaf dans le film A star is born, en 2018). L’extrait des Misérables a été déplacé sur les balcons de la Chancellerie, tandis qu’une chorégraphie a été réalisée sur les échafaudages de Notre-Dame, en partie détruite par un incendie il y a cinq ans, avec un bel hommage rendu aux artisans. On a retrouvé Charles Aznavour, mais en medley avec les tubes d’Aya Nakamura. Voilà de quoi briser les codes !

Quant à la Révolution française, elle a été incarnée par le groupe de métal Gojira ! La Marseillaise (interprétée par la mezzo soprano Axelle Saint-Cirel) fut « moins martiale, davantage axée sur l’émotion, signée Victor Le Masne ». Et quel tableau en majesté ! En revanche, l’image ensanglantée de plusieurs Marie-Antoinette décapitées sur Ah ! Ça ira (interprété par la chanteuse lyrique franco-suisse Marina Viotti) a mis le feu aux poudres. Elle est en tout cas représentative du style de Thomas Jolly : rock, gore, impertinent, engagé, tout en contrastes. Certes, il aime bousculer les consciences. Cependant, donner à voir la violence, même de façon esthétisante, ne signifie pas la cautionner. Cette séquence de la Conciergerie embrasée sera inoubliable.

D’autres, encore, a retenu mon attention : l’entrée de la flamme, portée par des enfants sur une barque, jusqu’à l’embrasement d’une vasque hors du commun ; les danseurs de l’Opéra de Paris, dont l’Étoile Guillaume Diop, perchés sur les toits ; la traversée du Louvre et la Joconde disparue qui refait surface de façon inopinée ; Imagine de John Lennon interprété par Juliette Armanet et Sofiane Pamart, le pianiste des rappeurs ; les nouvelles disciplines olympiques (BMX, break dance, basket free style) évoquées par Louis XIV, Napoléon Ier, le Général de Gaulle.

Resteront aussi en mémoire le cheval de métal au galop sur la Seine et sa cavalière drapée de l’olympisme qui rejoignent le Trocadéro ; la course des derniers relayeurs français au cœur du Louvre et des jardins du Carrousel sous la pluie battante ; enfin, le bouquet final avec l’inamovible Tour Eiffel illuminée de bleue, parée des anneaux olympiques, et l’Hymne à l’amour d’Édith Piaf, par Céline Dion, qui a redonné là son premier concert public, après quatre ans d’absence ; l’envol de la vasque olympique en montgolfière, dans un ciel enflammé, quelques heures après que la patrouille de France a dessiné un cœur de fumée géant.

Sur le fil

La prestation du funambule Nathan Paulin m’a évidemment procuré la plus grosse émotion. Autre moment suspendu, long de 350 mètres, depuis le toit de la Samaritaine, au-dessus d’une troupe d’acrobates et de danseurs (cie Gratte Ciel, en complicité avec XY) sur le Pont-Neuf, avec en exercice inédit, une main tendue à une acrobate, le tout chorégraphié par Rachid Ouramdane ! Magnifique.

Le poids des images, le choc des cultures… Plusieurs séquences ont suscité de vives réactions, notamment celle avec Barbara Butch, des drag-queens et un Philippe Katerine nu et peint en bleu, interprétée par la majorité comme une moquerie de la Cène. L’épiscopat a été offensé par son contenu et l’extrême droite a vomi tout son fiel. Les organisateurs se sont justifiés en précisant avoir été plutôt inspirés par le Festin des dieux, en référence à fête païenne entre les divinités de l’Olympe.

« Malentendu » ? Universalisme ou wokisme ? Que de récupérations politiques, en tout cas ! Que l’image iconique de l’histoire maintes fois détournée le soit à nouveau, ici revisitée par, pourquoi pas ? C’est une parodie et l’idée de la célébration de Dionysos, le dieu de la vigne et père de la Seine, tient la route. Thomas Jolly est irrévérencieux mais pas irrespectueux, impertinent mais pas insolent, humain, bienveillant et surtout… libre.

Mise en cène

Pour ma part, voici ceux qui m’ont irritée : celui mettant en scène le nageur américain Michael Phelps, l’athlète olympique le plus médaillé de l’histoire, et la légende du biathlon français Martin Fourcade, aux côtés des malles Louis Vuitton (la marque phare du groupe LVMH). On aurait plutôt vu K-Way parmi les sponsors ! Et surtout plus de « malice » à exposer ainsi un partenaire premium… D’autres placements de produits étaient plus discrets.

Enfin, si les deux tiers du show se sont tenus à la lumière du jour, la tombée de la nuit a été assurée par Thomas Dechandon, qui a signé les lumières de l’opéra-rock Starmania, mis en scène par Thomas Jolly en 2022. De puissants faisceaux laser pas vraiment du meilleur goût. D’ailleurs, la réalisation audiovisuelle ne fut pas à la hauteur, malgré les drones. Avec un terrain de jeu pareil…

Mais maintenant place aux sports ! Que ces champions assurent à présent le spectacle, nous procurent d’autres sensations. Qu’ils remportent (ou pas) des médailles, ils vont nous faire aussi rêver, vibrer, comme ces artistes. Car les JO sont du sport, et bien plus que du sport, notamment avec les Olympiades culturelles ! Bref, c’est de la JOie. Oui, « Ouvrons grand les Jeux ». 🔴

Léna Martinelli


Cérémonie d’ouverture des Jeux Olympiques 2024 à Paris

Le 26 juillet 2024

Voir la captation sur France Télévision

À découvrir sur Les Trois Coups :
« Le Dragon », Thomas Jolly, par Trina Mounier
« Richard III », Thomas Jolly, par Léna Martinelli
« Thyeste », Thomas Jolly, par Lorène de Bonnay
« Arlequin poli par l’amour », Thomas Jolly, par Trina Mounier
« Place des anges », de la cie Gratte Ciel, au festival Les Invites 2024, reportage de Stéphanie Ruffier

Photos :
• Une : © JO Paris 2024
• Les autres sont des captures France Télévision et © DR

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