« Chaque jour un peu plus », de Ham Havâyi, Théâtre des Abbesses à Paris

Chaque jour un peu plus © Reza Ghaziani

Poignantes confessions iraniennes

Par Alicia Dorey
Les Trois Coups

Sur un plateau transformé en cuisine, espace intime et symbolique, trois Iraniennes voilées de noir nous confient leur histoire, et celle des hommes qu’elles ont aimés.

La scène est plongée dans le noir. On entend des craquements, comme si quelqu’un écrasait des noix. Lorsque les lumières s’allument, trois femmes apparaissent, dans une cuisine au décor sobre et minimaliste. Elles s’affairent en silence. Tandis que la première s’avance et se met à parler, on comprend que les coquilles qui jonchent le sol ne sont qu’un symbole de leurs vies broyées par une société dans laquelle les femmes doivent lutter pour exister. Shahlâ a eu le malheur d’être la maîtresse d’un célèbre footballeur, et vient d’être condamnée à mort pour le meurtre de son épouse. Afin de combattre la dureté dont fait preuve le système éducatif envers les jeunes filles, Leylâ a fait le choix de s’émanciper en devenant alpiniste. Accusée injustement d’avoir laissé mourir un homme lors d’une expédition en haute montagne, elle est rejetée par sa famille, et réduite à mener une vie rongée par le remords et la solitude. Mahnâz, enfin, est la veuve d’un pilote d’avion disparu au cours de la guerre qui opposa l’Iran à l’Irak au début des années quatre-vingt. Trois portraits sombres, pourtant interprétés par trois comédiennes lumineuses.

L’auteur s’est fondée sur des faits réels pour écrire ce texte, qui flirte avec le théâtre documentaire, tout en conservant une part de fiction et d’imaginaire. La guerre, la religion et la justice sont abordées par le détour de l’intime, et c’est ce qui fait toute la beauté de cette pièce assez hors du commun, qui va puiser dans la psychologie, la poésie et la musique une inspiration nouvelle. On peut être déstabilisé par cette langue aux intonations si singulières, et toutefois on sent dans la salle un public ému aux larmes. Sans doute quelques subtilités se dérobent-elles en raison du surtitrage, et l’expressivité de leurs visages ne parvient pas toujours à nous faire oublier ce léger décalage.

Le choix de placer les protagonistes au centre d’une cuisine n’est pas anodin. C’est un lieu de repli, d’intimité et de confidence, auquel aucune femme iranienne n’échappe. Divisé en trois rectangles, censés symboliser les maisons des trois personnages, véritables prisons dont elles ne s’évadent jamais, l’espace scénique devient le réceptacle de leur chagrin, qui se font écho sans jamais se croiser.

Au fil de la représentation, les femmes de Chaque jour un peu plus s’avancent vers un destin qui leur glisse entre les doigts. La façon dont elles s’acquittent des rituels culinaires du quotidien est bouleversante. Leur gestuelle s’apparenterait presque à une danse, extrêmement codifiée, qu’elles auraient elles-mêmes inventée pour combler l’absence de ceux qui les ont trahies : ces hommes que l’on ne voit jamais, mais qui sont encore partout. 

Alicia Dorey


Chaque jour un peu plus, de Ham Havâyi

Mise en scène : Afsâneh Mâhian

Texte original : Mahin Sadri

Avec : Sétâreh Eskandari, Elhâm Kordâ et Bârân Kosari

Décor, lumières et costumes : Manouchehr Shojâ

Musique : Mohammad Rézâ Jadidi

Photo : © Reza Ghaziani

Théâtre des Abbesses • 31, rue des Abbesses • 75018 Paris

Réservations : 01 44 62 52 52

Site du théâtre : www.theatredelaville-paris.com

Métro : ligne 12, arrêt Abbesses

Du 2 au 7 novembre 2015, du lundi au samedi à 20 h 30

Durée : 1 h 40

26 € | 22 € | 16 €

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