« Chouf ouchouf », de Zimmermann et de Perrot, cour du lycée Saint‐Joseph à Avignon

« Chouf ouchouf » © Mario Del Curto

« Chouf ouchouf » ou la beauté des frontières

Par Anaïs Heluin
Les Trois Coups

En cette édition 2010 du Festival d’Avignon, la cour du lycée Saint-Joseph se mue en quelques jours en un incroyable carrefour de cultures et de genres. Avec « Chouf ouchouf », les Suisses Zimmermann et de Perrot rencontrent le Groupe acrobatique de Tanger. Où le théâtre croise le cirque, dans une alliance magnifique.

Une foule bigarrée s’empare d’un espace vide, clos par une paroi mobile qui avance puis recule. L’assemblée s’agite, au gré d’itinéraires balisés de significations secrètes, interdits séculaires ou légendes millénaires. Progressivement, la topographie d’une ville se dessine, née de la synchronisation des corps des acrobates, qui s’assemblent en de savantes constructions humaines. Une cité, protéiforme, émerge du néant, le remplit de ses multiples activités. Car les artistes construisent aussi des scènes de vie commune. Ils s’animent dans un marché, se disciplinent dans une école. C’est Tanger fantasmé. C’est un ici et un ailleurs denses, un vrai cirque en ville, contrée de l’homme volant, du funambule intrépide, de l’acrobate du quotidien.

Au contact des metteurs en scène que sont Zimmermann et de Perrot, les dix artistes du Groupe acrobatique de Tanger se sont faits les peintres d’un tableau urbain. Pour ces comédiens, la pirouette constitue le théâtre. Car les multiples prouesses d’équilibrisme, de voltige et de funambulisme sont réalisées avec harmonie par l’ensemble de la troupe, chaque artiste étant néanmoins doté d’une gestuelle et d’une originalité propres. Par petites touches, le temps d’un geste esquissé ou d’un mot hasardé, les contours d’un personnage sont tracés, de manière impressionniste. Car il faut savoir attendre à Tanger, se tapir dans l’ombre pour voir les personnalités s’animer, s’extraire du groupe et oser s’affirmer.

Mais toute affirmation de l’individuel est vite avalée par un mouvement collectif, chorégraphie habilement orchestrée. La mise en scène tient du ballet ; les pyramides et les encastrements humains les plus incongrus en constituent les figures. Elle sublime le répertoire traditionnel de l’acrobatie marocaine, avec sa perfection quasi géométrique. Un supplément de fantaisie et de théâtralité, un soupçon de burlesque, permettent de saisir le frémissement des vies, leur précarité. Fragiles, les figures déboulent et s’évanouissent dans l’inconnu, entre des panneaux coulissants ingénieusement conçus, murs de fortune d’une ville aux multiples facettes.

« Chouf ouchouf » © Mario Del Curto
« Chouf ouchouf » © Mario Del Curto

Dans ce jeu habile d’illusionnisme, des prises de position affleurent, discrètement, le temps d’apparitions fantomatiques, telle cette femme voilée, muette et figée, dont la présence si fugace semble arrachée à notre vue. Par un ordre invisible. La raillerie de la tradition patriarcale théocratique est suggérée, confirmée par le ridicule outré du maître d’école coranique, un des personnages phares du tableau. Quant à la situation des « brûleurs de frontière », qui avec un trampoline de fortune tentent de rejoindre leur Occident fantasmé, elle exhale une odeur de misère. Il fallait, pour faire toucher du doigt l’errance et les tâtonnements d’une population, le regard neuf de l’étranger, à même de s’étonner.

En sismographes de l’âme tangéroise, les metteurs en scène Zimmermann et de Perrot ont transmis au Groupe acrobatique de Tanger leurs surprises, afin de revitaliser l’imaginaire d’une ville dont la vie tourne autour de ses frontières. Et qui avait tendance à sombrer dans un ressassement des mêmes malheurs. De cette rencontre, à l’origine du spectacle, est né un appel, appel à rêver le monde, à attraper le sourire qui s’enfuit au coin de la rue avant qu’on l’ait aperçu. Ou « Chouf ouchouf », en français : « Regarder et regarder encore ». 

Anaïs Heluin


Chouf ouchouf, de Zimmermann et de Perrot

Interprété par le Groupe acrobatique de Tanger

Conception, mise en scène et décor : Zimmermann et de Perrot

Composition musique : Dimitri de Perrot

Interprété par les acrobates du Groupe acrobatique de Tanger : Abdelaziz el‑Haddad, Jamila Abdellaoui, Adel Chaâban, Younes Hammich, Younes Yemlahi, Yassine Srasi, Amal Hammich, Mohammed Hammich, Mustapha Aït Ourakmane, Mohammed Achraf Chaâban, Samir Laâroussi, Najib el‑Maïmouni Idrissi

Chorégraphie : Martin Zimmermann

Dramaturgie : Sabine Geistlich

Construction décor : Ingo Groher

Création lumière : Ursula Degen

Création sonore : Andy Neresheimer

Création costumes : Franziska Born avec Daniela Zimmermann

Réalisation costumes : Franziska Born avec Mahmoud ben Slimane

Coach acrobatique : Julien Cassier

Peintre décoratrice : Michèle Rebetez

Régie lumière : Cécile Hérault

Régie son : Andy Neresheimer

Photos : © Mario Del Curto

Direction Groupe acrobatique de Tanger : Sanae el‑Kamouni

Direction de production : Alain Vuignier

Productrice internationale : Claire Béjanin

Cour du lycée Saint-Joseph • 62, rue des Lices • 84000 Avignon

Réservations : 04 90 14 14 14

Du 8 au 13 juillet 2010, à 22 heures

27 € | 21 € | 13 €

http://www.festival-avignon.com/

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