Chris Cadillac, Typhus Bronx, Fred Blin, Festival Éclat, Aurillac

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Aurillac, rebelle without a pause

Par Stéphanie Ruffier
Les Trois Coups

Une manif qui scande « tétons partout, justice nulle part », du spectacle libertaire pour de faux-vrai, des clowns qui se sabotent… Aurillac :  quatre jours de folie où (presque) tout est permis !

« Un festival terni », gnagnagna « dégradation » et « foule illégitime » : dixit le quotidien régional La Montagne. Peau de nichon ! Aurillac, c’est LE festival à la pointe des luttes sociales : coup de diabolo dans les couilles du sexisme et pensée alternative en bandoulière. Un des rares événements culturels encore un peu sauvages. Quoiqu’en disent certains pionniers des arts de la rue accrochés au « c’était mieux avant », ici on bataille toujours afin que l’espace public reste un lieu de circulation et d’expression libres, pour les artistes comme pour les spectateurices.

Le Spectacle de merde de Chris Cadillac en est la plus flagrante illustration. De l’indocile metteuse en scène Marion Duval, on avait déjà savouré le culot et le sens du baronnage, technique de jeu consistant à disséminer des complices dans le public, dans Las Vanitas à la Zad des Vaîtes à Besançon. Dans le In d’Aurillac, elle pose sa nouvelle grosse transgression. Solidement campée dans un short vert, elle se situe d’emblée : « On n’échappe pas à sa classe ». Elle, elle vient de la bourgeoisie niçoise un peu rance. Elle insiste sur « le privilège de faire ce spectacle ». Et elle en jouit pleinement en invitant tous ses copaines, des comédiens, des circassiennes, mais aussi des rencontres de rue, des marginaux pêchés ici ou là.

Ballet anarco-punk

Son discours inaugural canarde sec. Contre la Culture qui récupère toute contestation, contre les mecs de pouvoir et leurs « bites puantes », contre ce « monde trop cher » et ses QRcodes, contre les traitements infligés au nom de la santé mentale. Au passage, elle écorne Morizot et Camille de Toledo. « On n’a pas de compte à rendre », clame-t-elle. Et c’est parti, à mobylette, pour un ballet des plus improbables !

« Le spectacle de merde », de Chris Cadillac © Jean-Michel Coubart

Biberonnée à la bière chaude et à l’esthétique des teufeurs, dotée d’une vraie cracheuse de feu, l’ouverture, grandiose, nous plonge littéralement dans une apesanteur miraculeuse. Camtars déglingos et camping-car tagué tournent et retournent avec délicatesse sur la bande-son du Grand Bleu. Aux fenêtres apparaissent des têtes plus ou moins défoncées, rasées, tatouées, toutes hilares. C’est la joie d’être là, tout simplement. Dans les gradins aussi.

Numéros de la loose qui partent en cacahuète

La suite est plus dégingandée. Le public massé derrière les grilles est invité à se joindre aux réjouissances. Une sorte de stand up rustique se met en place. C’est « le spectacle de leur vie », à comprendre comme forme exceptionnelle qui sort des rails, mais aussi exhibition d’un mode de vie et intimité toutes tripes dehors. On pense parfois à Alix Montheil, ses images et ses véhicules en roue libre, son défi « regarde Papa, je me soigne ». En version plus bordélique et émancipée du souci de plaire !

Le spectacle de merde-Chris Cadillac-©Jean-Michel Coubart

Petit Tonnerre, Lajoie, Kariiine, AzuXenia, la Cé et les autres dégainent une sorte de scène de stand up poreuse avec la « vraie vie » et le public. Chacun·e montre son petit talent : poème, danse, agrès… Une beauté sporadique nous éclabousse, à la va comme ça me pousse, avec ratages contrôlés et petits déballages perso. Sont-iels toustes défoncé·es ? Sommes-nous dans un zoo alterno ? Avons-nous basculé sans nous en apercevoir dans un des campings sauvages situés à deux pas ?

Marion Duval est-elle en train de hacker le IN, de tester la patience du bourgeois qui sommeille en nous ou de dissoudre dans l’acide la notion de spectacle ? Voilà, en tous cas, une proposition qui brandit fièrement l’esthétique rue la plus mal fagotée et fière de l’être.  

Du clown en forme pas ouf

Ce spectacle est-il programmable ? Sa deuxième partie usante a le mérite de poser des questions méta-théâtrales mordantes parmi les 18 propositions plus policées du In. À leurs côtés, 700 compagnies de passage s’ébattent dans 132 pastilles, lieux de représentations épars dans la ville, sans compter les places et les ruelles où chacun fait c’qui lui plaît, hors catalogue : jongleurs à crête, virtuoses du feu ou de la 8.6., marionnettistes aux castelets miniatures, police montée en goguette… Aurillac reste la capitale du punk.

Le non-initié doit absolument se fier au bouche à bouche. « On va voir le clown qui parle de la drogue ? » « Non, on a trop de chiens, là, les gars. » Parmi les noms qu’on se passe sous le manteau, il y a celui d’un indompté bien barré : Typhus Bronx. Il faut faire la queue des heures devant la cour Tivoli pour approcher son clown au seuil de la psychiatrie dans un solo hallucinant et archi bouleversant. Les interdits, les règles ? Il les outrepasse joyeusement avec son enfantôme dans Trop près du mur. Attention, génie !

Sur le Parking de la Love, Fred Blin, échappé des Chiche Capon, sabots verts, robe vaporeuse, perruque d’aristo et mouches écrasées sur un visage cérusé, vaut aussi le détour. Son titre est en lui seul tout un poème : A-t-on toujours raison ? Which witch are you ? Une ode aux longueurs. Son clown usé, abandonné par son metteur en scène, maîtrise à la perfection l’art du ratage et du pas grand-chose étirés avec malignité. Son but sublime ? Jouer la montre. Ses prouesses pas terribles et son lien exigeant au public déclenchent des avalanches de rires nerveux.

Vive les seins interdits !

Au milieu de cette immense scène à ciel ouvert où chaque carré de verdure ou de macadam voit surgir un happening, des piquets de tente ou un bar à prix libre, quoi de plus cohérent que de s’accorder un peu de liberté ? Marina, une festivalière, est de celles qui, le mercredi, décident de savourer cette hétérotopie la poitrine à l’air. Après tout, son mec est bien torse nu, lui ! Mais des policiers zélés la rappellent à l’ordre. Malgré son argumentaire béton s’appuyant sur la canicule, l’esprit festif et l’inéquitable traitement différencié des sexes, elle finit par être embarquée au commissariat et écope d’une amende pour… exhibition sexuelle !

À son initiative, une manifestation est organisée samedi midi au départ de l’hôtel de ville. De quelques centaines, les festivalières seins nus se retrouvent plus d’un millier devant le tribunal. « Un grand moment de sororité pour faire bouger les mentalités ! » assurent les participantes. C’est alors que des personnes cagoulées forcent l’entrée du bâtiment public, brûlent un drapeau et endommagent du mobilier. Un tag orange apparaît : « Aurillac topless, la police en PLS ». Le directeur du festival, Frédéric Rémy et le maire de la ville, Pierre Mathonier, mouillent le maillot et calment bien vite les esprits. Alors pourquoi tant de remue-ménage à grands renforts d’hyperboles opportunistes de la part d’ Éric Dupond-Moretti et de Laurent Wauquiez ?

Après les émeutes de 2016 qui avaient balayé les barrières vauban et les coûteux contrôles d’apparat (toujours en vigueur et tellement contraires à l’esprit des arts de la rue), cet épisode contestataire vient pointer une nouvelle fois avec acuité le tout-sécuritaire et dénonce avec raison la sexualisation du corps des femmes, objets de fantasmes et d’injonctions permanentes. Les temps sont chauds ! Il serait temps pour les politiques mâles qui draguent les électeurs d’extrême-droite de lire l’excellent essai de Camille Froidevaux-Metterie : Seins, En quête d’une libération. 🔴

Stéphanie Ruffier


Le Spectacle de merde, de Chris Cadillac

Site de la compagnie
Mise en scène : Marion Duval
De et avec : AzuXenia, Banbul Simitv, Benoît 13, Karine, La C, Lajoie, Mickael Jackson, Petit Tonnerre et invité·es
Collaboration à la mise en scène : Adeline Bourgoin, Adina Secretan, Vince et les interprètes
Collaboration à la conception : Luca Depietri
Collaboration aux costumes : Azucena Fabbri
Son et composition : Olivier Gabus
Lumière et régie : Vicky Althaus
Scénographie : Guits
Durée : 2 h 30
Tout public à partir de 14 ans
Tournée :
• Du 13 au 16 septembre, La Bâtie, à Genève (Suisse)

Trop près du mur, de Typhus Bronx

Site de la compagnie
De et avec Emmanuel Gil
Regard extérieur : Marek Kastelnik, Gina Vila Bruch, Agnès Tihov
Durée : environ 1 h 20
Tout public à partir de 10 ans
Tournée ici :
• Les 9 et 10 septembre, festival Perché sur la Colline, à Sombernon (21)
• Le 13 septembre, Théâtre Les Aires, à Die (26)
• Les 15 et 16 septembre, Théâtre Onyx, à Saint-Herblain (44)
• Le 29 septembre, La Grosse Entube, à Rennes (35)
• Le 8 octobre, Festival les Expressifs, à Poitiers (86)
• Le 19 octobre, la Halle au blé, à Alkirsch (68)
• Les 21 et 22 octobre, Festival Michtô, à Nancy (54)
• Le 6 novembre, Tandem Festival, à Canéjan (33)
• Le 7 novembre, Forum des arts et de la culture, à Talence (33)
• Du 16 au 18 novembre, au Prato, Pôle national cirque de Lille, dans le cadre de La Nuit du Cirque (59)

A-t-on toujours raison ?, de Fred Blin

Témal Productions
De et avec Fred Blin
Collaboration artistique : Raymond Raymondson
Durée : 1 heure
Tout public
Tournée ici :
• Le 13 septembre, Léspas, à St-Paul (21)
• Le 14 septembre, Le Séchoir, à Saint Leu (26)
• Le 19 septembre, Théâtre Les Bambous, à Saint-Benoît (44)
• Le 28 septembre, La Fabrique Théâtre, à Bastia (Corse)
• Le 10 octobre, La Palabre, Centre culturel d’Aubenas (07)
• Le 11 octobre, la Comédie Odéon, à Lyon (69)
• Le 12 octobre, Théâtre du Moulin Saint-André, à Vinon-sur-Verdon (83)

Festival  Éclat • Aurillac (15)
Du 23 au 26 août 2023
Billetterie sur le parvis du Conseil départemental et en ligne
Gratuit

À découvrir sur Les Trois Coups :
Le Pédé, Collectif Jeanine Machine, par Stéphanie Ruffier
PLS, la Berroca, par Stéphanie Ruffier
Le Delirium du papillon, d’Emmanuel Gil, par Léna Martinelli

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