Cie Substance, La Dieselle Compagnie, Théâtre Magnétic, Festival Les Zaccros D’Ma Rue, Nevers

Héroines-Dieselle-Cie-©-Fabrice-de-Croutte

Au bonheur des dames

Par Stéphanie Ruffier
Les Trois Coups

Deux mariées, une Blanche-Neige connectée et des femmes âgées qui tentent de lutter contre leur invisibilisation… Sous un soleil de plomb, la 23e édition des Zaccros D’Ma rue offrait un panorama contrasté de la condition féminine.

Coup de cœur de cette édition, Mme E de la cie SubsTÀNCe fait partie de ces spectacles de danse dont la diffusion a brusquement été stoppée par la crise sanitaire. Il présente l’originalité de jouer dans la vitrine d’un magasin de prêt-à-porter. À Chalon, en 2019, la représentation investissait un commerce qui continuait de vaquer à ses affaires, mais à Nevers, elle se déroule dans une boutique Camaïeu à l’abandon de la rue piétonne. Les déboires de la fast fashion, cette mode à bas prix et moindre qualité, entre en écho avec ceux de la femme objet, elle aussi périssable.

Mme-E-SubsTANCe © Fabrice-de-Croutte
« Mme E », SubsTANCe © Fabrice de Croutte

Libérées, décoiffées

La figure de la mariée est au centre de cette proposition qui interroge le mythe de la robe blanche et le poids des traditions. Derrière la vitre, une femme s’apprête, beauté-cliché sous cloche. La liberté des témoignages sonores sur les noces offre un contrepoint à l’image de la recluse, isolée et exposée aux regards dans sa maison de poupée transparente.

Et si les robes suspendues au-dessus d’elle figuraient le menaçant cabinet de Barbe-Bleue ? Le slogan publicitaire de la marque, collé sur la vitre résonne lui aussi avec ambivalence  : « On ne se quitte plus ». Quelle est la nature de ce lien : attachement, engagement ou emprise ? Les gestes illustrent subtilement la violence des attentes qui pèsent sur la reine d’un jour.

En déambulation dans les rues, une autre mariée solitaire rejoint la première. Sensation dérangeante de clonage. Le rituel social dissoudrait-il les singularités ? Ensemble, elles se tordent, visages rencognés contre la vitre, comme tuméfiés. Elles tentent de se plier aux contraintes, puis décident de s’en extraire, ensemble. Quel plaisir de voir une proposition immersive frayer parmi les badauds !

Leurs chorégraphies, déstructurées et rock, convoquent aussi bien le mariage forcé, le mariage pour toustes (qui fête ses dix ans), que le besoin de liberté, de se confronter à la solitude, de s’ouvrir aux autres, de partager la joie. Tout ça avec la complicité du public, sans oublier l’humour. Les chairs s’exposent avec sincérité, se plient à la souffrance, comme à la douceur. Sororité, valse des hésitations, des rencontres et des inflammations… C’est poignant et enivrant. Le propos, nourri d’images fortes, n’est jamais manichéen.

Quatre vieilles dans l’espace public

Héroïnes, deuxième volet d’un diptyque sur la place des femmes âgées dans notre société, est une proposition fraîche, rythmée et facétieuse. Dans le square Thévenard, des femmes se rejoignent pour une distribution militante de légumes de paysans en colère. Une bourgeoise à collier de perles, chaussons de velours et cabas Action, une indignée à badges engagés, une coquette à robe à fleurs, une craintive qui tente de trouver sa place au milieu de ces fortes personnalités. Qu’ont-elles en commun ? Leur âge mûr. Elles constatent qu’elles n’existent désormais plus guère dans le regard des autres.

Servi par quatre comédiennes de caractère, ce texte d’une plume masculine (!), celle de Rémi De Vos, explore les subterfuges vestimentaires pour échapper à l’invisibilité : l’imprimé panthère, le talon et ses jeux de pouvoir. Parées de costumes et de chants hardis, les héroïnes du vieillissement ne manquent pas d’humour. Quand les répliques bien senties évoquent les coups de couteaux dans le dos entre rivales ou époux, le quatuor fait mouche. Si la désaliénation du patriarcat semble encore semée d’embûches, les battantes comprennent qu’on est plus fort à plusieurs, en se serrant les coudes. Hourra !

Accros du selfie et de la géolocalisation

D’emblée, le château en matériaux de récup de Théâtre Magnétic s’effondre. L’esthétique cheap et les chamailleries entre comédiens qu’affectionnent les arts de la rue sont au rendez-vous. Mais on sait bien qu’il va falloir s’accorder, puisque « les bons contes font les bons amis. » Dans ce théâtre d’objets qui dépoussière Blanche-Neige, le roi souffre du syndrome de Gilles de Tourette : « Non, je n’irai pas à Mulhouse ! » L’héroïne ne cesse de poster des images sur les réseaux sociaux et vérifie sans cesse son poids sur l’appli « combien j’ai marché, combien j’ai maigri. »

« Et les 7 nains », Magnetic © Fabrice de Croutte

Le conte originel est bien boosté par le duo de manipulateurs en bisbille. Et les 7 nains fait feu de tout bois : il intègre une galette de beurre et une aiguille somnifère et évoque, à bride abattue, la notion de consentement. C’est vif, court, bien mené. Les femmes n’en sortent guère grandies : l’une légère ; l’autre jalouse comme un pou ; toutes deux narcissiques. Le Prince non plus, ceci dit. On en rit beaucoup.

Une programmation resserrée

Dernière édition sous la houlette de Françoise Ducourtioux, le festival Les Zaccros D’Ma Rue proposait une programmation resserrée, en raison de restrictions budgétaires. Si une belle déambulation, Octobre de la Chaloupe, a pu se déployer dans les rues d’une autre ville de l’agglomération, ces formes théâtrales en mouvement ne sont plus guère les bienvenues à Nevers. L’obsession sécuritaire, les voitures béliers et le personnel de surveillance ont un coût. D’où la floraison de petites formes, duos et solos.

L’association À La Rue lutte pour soutenir les exigences artistiques en espace public. Avec elle, on espère que la circulation sera à nouveau coupée en centre-ville pour rendre les déplacements plus conviviaux. La nouvelle directrice, Audrey Jehanno, qui a déjà œuvré au festival Furies à Chalons-en-Champagne, prendra la relève. De beaux défis l’attendent. 🔴

Stéphanie Ruffier


Mme E, de la cie SubsTÀNCe

Site de la compagnie
Chorégraphie : Renàta Kaprinyàk
Interprétation : Renàta Kaprinyàk et Aurore Schatzman
Composition musicale : François Payrastre
Scénographie : Seb Geo
Tout public

Héroïnes, de la Dieselle Compagnie

Site de la compagnie
Texte : Rémi De Vos
Mise en scène : Christine Larivière
Chorégraphie : Astrid Meyer
Interprétation : Armelle Jamonac, Claudie Parolini, Lisa Livane, Aurélie Girodon
Composition musicale : François Payrastre
Tout public

Et les 7 nains, Théâtre Magnétic

Site de la compagnie
Création et mise en scène : Bernard Boudru, Ingrid Heiderscheidt, Isabelle Darras
Jeu : Bernard Boudru, Ingrid Heiderscheidt et Estelle Franco en alternance
Scénographie et accessoire : Céline Robaszynski, Jean-Marc Tamignaux, Christine Moreau et Bernard Boudru
Costumes : Clothilde Coppierters
Création lumières : Descarreaux
Tournée :
• Du 19 au 23 juillet, Festival Chalon dans la Rue, pastille 71, square Chabas, à Chalon-sur-Saône (71)

Dans le cadre du festival Les Zaccros de ma rue • 58000 Nevers
Du 2 au 9 juillet 2023
Spectacles gratuits

À découvrir sur Les Trois Coups :
Les Portes du paradigme, de Gédéon, par Stéphanie Ruffier
Reportage sur le festival Les Rugissantes au Creusot, par Stéphanie Ruffier

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