Gare au boulevard
Par Alicia Dorey
Les Trois Coups
Dans ce désopilant vaudeville en trois actes, Nicole Genovese secoue énergiquement notre vision éculée du théâtre de boulevard.
Un hommage sans prétention à un genre théâtral souvent mis à l’écart : tel semble être le mobile de Nicole Genovese dans Ciel ! Mon placard…, repris cette année au Rond-Point, après avoir été ovationné par la critique à La Loge et dans le cadre du festival Préliminaires en 2015. Prétentieuse, cette dramaturge pourrait l’être, tant se font rares les auteurs qui manient l’art de nous faire rire avec autant d’intelligence. Dès les premières répliques, on est immédiatement conquis par cette attaque en règle du théâtre consensuel.
L’histoire a un délicieux air de déjà-vu : Dada Courte-en-bière, femme mondaine de la haute bourgeoisie, s’apprête à se rendre à l’inauguration des Nouvelles Galeries, si possible au bras de son époux, le grandiloquent Maxime Courte-en-bière, lui-même cocu et adultère. Quand celui-ci prétexte un voyage en Italie pour se soustraire aux obligations conjugales, Dada somme son amant Louis de l’accompagner. Malheureusement, ce dernier fait la découverte inattendue de sa fille cachée, Louison, ce qui l’empêche évidemment de répondre présent à l’invitation. Dada se voit donc contrainte de se rendre à l’évènement en compagnie d’un domestique, l’impayable Jacquot. C’est à partir de ce gag initial que les ennuis vont commencer : quiproquos, déclarations d’amour, crime grand-guignolesque et kidnapping s’enchaîneront à un rythme effréné. Les minutes passent à une vitesse folle jusqu’à un final ébouriffant, qui nous montre une fois de plus qu’il ne faut pas se fier aux apparences.
Moi qui pensais détester le boulevard, par peur d’avoir à en découdre avec les inconditionnels d’un théâtre prétendument subversif car expérimental, je me suis surprise à adorer. On peut être choqué, gêné, voire dérangé par les tirades scabreuses des personnages, et par un comique de situation un peu trop tiré par les cheveux. Les clichés sont retournés, ballottés, éventrés sur l’autel de la bienséance. Au rythme des portes qui claquent, les démons de la subversion sortent du placard et ébranlent nos certitudes.
Un décalage organisé
La mise en scène est faussement brouillonne : les scènes qui se succèdent vont très loin dans le loufoque et l’inattendu, et si l’on perd parfois le fil, c’est pour mieux le retrouver à l’acte suivant. On voudrait pouvoir s’arrêter sur chaque détail, tant les décors en carton-pâte et les froufrous extravagants sont autant de clins d’œil facétieux à l’univers de Labiche, le maître incontestable du vaudeville.
Enfin, la distribution est un sans-fautes : pour interpréter des personnages tous plus déjantés les uns que les autres, Nicole Genovese a fait du sur-mesure. Désopilante dans le rôle de Dada, elle donne la réplique à Sébastien Chassagne, irrésistible en amant frustré assigné à résidence pour cause de paternité non désirée. On retiendra également la performance de Marion Gomar, incroyable en cantatrice finlandaise, qui excelle autant vêtue d’une serviette de bain sur un air de rap qu’en tenue de ski sur un air d’opéra. Enfin, le placard, à la fois prétexte et personnage principal du spectacle, devient une source intarissable de situations aussi cocasses que réjouissantes. Les niveaux de lecture se multiplient, chacun comprend ce qu’il a envie de comprendre, et l’on en redemande. ¶
Alicia Dorey
Ciel ! Mon placard…, de Nicole Genovese
Mise en scène : Claude Vanessa
Avec : Matthieu Benigno, Paul Bouffartigue, Renaud Boutin, Sébastien Chassagne, Nelson Ghrénassia, Nicole Genovese, Marion Gomar, Adrienne Winling, Angélique Zaini
Lumières : Ludovic Heime
Musique : Matthieu Benigno
Scénographie et costumes : famille Genovese
Photos : © Charlotte Fabre
Théâtre du Rond-Point • 2 bis, avenue Franklin‑D.‑Roosevelt • 75008 Paris
Réservations : 01 44 95 98 21
Site du théâtre : www.theatredurondpoint.fr
Métro : ligne 9, arrêt Franklin‑D.‑Roosevelt
Du 15 septembre au 18 octobre 2015, du mardi au samedi à 21 heures et le dimanche à 15 h 30. Relâche le 18 septembre et les lundis
Durée : 1 h 30
33 € | 30 € | 18 € | 14 €