« Cinq visages pour Camille Brunelle », de Guillaume Corbeil, la Manufacture à Avignon

« Cinq visages pour Camille Brunelle » © Jérémie Battaglia

Comment faire spectacle de soi ?

Par Léna Martinelli
Les Trois Coups

Dans le cadre de Focus Québec à la Manufacture, Claude Poissant met en scène le texte de Guillaume Corbeil, « Cinq visages pour Camille Brunelle ». Un spectacle peu convaincant sur la représentation du moi et notre délicat rapport au réel.

Sur la scène jonchée de vêtements, cinq trentenaires se montrent, s’exposent, bref mettent en scène, devant nous, le spectacle de leurs vies. Reprenant l’idée des descriptions, des statuts et des « like » Facebook, ils se décrivent physiquement et égrènent leurs intérêts pour créer leur profil. Ils commentent une série de photos où on les voit entourés d’une foule d’amis virtuels au cours d’une soirée.

Cette quête éperdue de reconnaissance, elle existait bien avant l’explosion du Web 2.0. Les réseaux sociaux ont pu éclore parce qu’ils répondaient à ce besoin d’avoir une scène sur laquelle monter. Mais, avec cette révolution Internet, est apparu ce que le psychiatre Serge Tisseron appelle « le désir d’extimité », autrement dit le désir qui nous incite à montrer certains aspects de notre moi intime, pour les faire valider par d’autres afin qu’ils prennent une valeur plus grande à nos yeux. Ce spectacle traite donc « des tyrannies de la visibilité » et montre par quels moyens nous cherchons à échapper à l’anonymat et à la solitude, les deux grandes angoisses de notre temps.

Comment exister dans le regard des autres ?

La vie de ces personnages s’écrit en temps réel et sans filtre. Chacun, réduit à une figure dont l’identité a été anéantie par une construction virtuelle, est le personnage d’une histoire qui se raconte, photo après photo. En fond de scène, d’innombrables clichés sans intérêt défilent sous nos yeux. Ces jeunes construisent leur avenir en toute impudeur, n’hésitant pas à représenter leur déchéance, pour paraître plus vrais que nature. Après les longues énumérations à la Perec, l’orgie de références culturelles et l’abondance des vêtements sur scène, des gros plans dévoilent l’envers du décor : les manques cruels, la médiocrité ambiante et l’absence totale de convivialité.

Une attention toute particulière est portée à une jeune femme qui dit souffrir de troubles psychiatriques. Cette schizophrène se montre sous cinq visages différents jusqu’à en perdre complètement la boule. Opter pour un personnage à plusieurs facettes qui avance masqué… Cela ne semble pas non plus la meilleure solution pour se préserver. Alors que faire ? Camille Brunelle, le seul personnage à avoir un nom, est surtout la représentante du réel qui change selon le sens qu’on veut lui donner.

Portraits déprimants

Surexposition, voyeurisme, consumérisme, narcissisme, troubles de l’identité, perte des repères… toutes les dérives des réseaux sociaux sont évoquées de façon très méthodique. Quel constat accablant ! L’auteur a exploré nos nouveaux modèles de communication et restitué toute la vivacité, ainsi que la platitude de nos échanges dans une langue diablement efficace. Inconditionnels du langage formaté, ces cinq êtres interchangeables qui se contaminent les uns les autres rendent aussi parfaitement compte de la viralité si caractéristique des réseaux sociaux. Mais Guillaume Corbeil reste en surface de son sujet : « La pièce fait un état des faits. Ça ne dénonce pas l’utilisation qu’on fait des réseaux sociaux », précise Claude Poissant, le metteur au scène, qui peine à donner de l’épaisseur au propos.

Sur la scène conçue comme un miroir réfléchissant, les interprètes exécutent leur partition comme des automates. Les litanies de « J’ai lu » et de « Moi, je… » sur un ton monocorde sont à la limite du supportable. Le rythme rapide, le texte construit sur la répétition et la surenchère, les postures stylisées exigent une précision sans faille. Face à nous – comme à leur écran –, les acteurs ne cherchent pas à émouvoir le public. Désincarnée et sans réelle interaction entre les personnages, la pièce n’est d’ailleurs pas théâtrale. Du coup, cette assommante chronique d’un mal-être générationnel n’est ni touchante ni troublante. Dommage de n’avoir su exploiter le potentiel dramatique d’un tel phénomène qui touche aujourd’hui près d’un milliard de gens sur la planète ! 

Léna Martinelli


Cinq visages pour Camille Brunelle, de Guillaume Corbeil

Le texte est édité aux éditions Leméac

Théâtre PàP • 4949 Clark • H2T 2T6 Montréal (Québec)

+1 514 845 7272

Courriel : info@theatrepap.com

Mise en scène : Claude Poissant

Avec : Julie Carrier-Prévost, Laurene Dauphinais, Francis Ducharme, Mickaël Gouin, Ève Pressault

Assistance à la mise en scène et régie : Andrée-Anne Garneau

Scénographie : Max-Otto Fauteux

Éclairages : Martin Labrecque

Conception photo : Geodezik – Janicke Morissette, Jean‑François Brière et Gabriel Coutu‑Dumont

Musique : Nicolas Basque

Mouvement : Caroline Laurin-Beaucage

Costumes : DVtoi

Maquillages : Suzanne Trépanier

Assistance aux costumes : Sylvain Genois

Direction technique : Victor Lamontagne

Stagiaire à la mise en scène : Jean-Simon Traversy

Photo : © Jérémie Battaglia

La Manufacture • 2, rue des Écoles • 84000 Avignon

Réservations : 04 90 85 12 71

Site du théâtre : www.lamanufacture.org

Du 6 au 26 juillet 2014, relâche le 16 juillet, à 21 heures

18 € | 12,50 € | 7 €

Durée : 1 h 35 (trajet navette compris)

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