Circusnext 2025, Théâtre de la Cité Internationale, Paris

Ghetto-Marcelo Nunes cie Dissociée © Christophe-Raynaud-de-Lage

La belle moisson de circusnext

Léna Martinelli
Les Trois Coups

Sous le label circusnext, une vingtaine de partenaires de toute l’Europe soutiennent la créativité de circassien·ne·s émergent·e·s, pour favoriser l’éclosion d’écritures novatrices. Durant la semaine du 19 mai, un jury international a choisi 4 équipes artistiques parmi 12 maquettes. Compte-rendu avant la présentation des lauréat·e·s au Théâtre de la Cité Internationale à Paris, les 12 et 13 juin.

Adrien Mondot, Alexander Vantournhout, Inbal Ben Haim, Julian Vogel, Alice Rende, Rémi Luchez, Baro d’evel, cie 14:20, Le Galactik Ensemble, Un loup pour l’homme, Collectif Petit Travers, cie Les Singuliers… Depuis 2001, la liste est longue des artistes et compagnies qui comptent aujourd’hui (et que nous suivons de près). Alors quelles sont les révélations 2025 ?

Metaphoric Objects, de David Martin (Suède) : ce projet de recherche est une collection d’expériences artistiques menées par un jongleur touche-à-tout, en quête d’un langage poétique à travers la manipulation d’objets. Hors des formats traditionnels, drôle, la performance se décline d’une idée incongrue à une autre, avec une inventivité désarmante.

Ce(ux) qui rest(ent), cie Inéluctable, Marius Fouilland, Aimé Rauzier (France) : touchés par une perte commune, le duo s’unit dans une pièce qui conjugue au présent notre rapport à la mort. Guidé par le langage acrobatique, il donne corps aux absents : marionnettes et humains se confondent dans un dialogue entre deux mondes. Sauter, s’élever, basculer, chuter à deux, se relever à quatre.

« Metaphoric Objects », David Martin © Christophe Raynaud de Lage ; Ce(ux) qui reste(nt) », Marius Fouilland, Aimé Rauzier, cie Inéluctable © Christophe Raynaud de Lage

In Difference, Marica Marinoni et Jef Everaert (France) : deux interprètes, deux roues Cyr, deux styles distincts. Jef est pacifiste et indécis, Marica est convaincue et conflictuelle. Jouant de ce contraste, les deux acrobates tissent un dialogue poétique et physique où le conflit confine à la complicité. In Difference est un périple vers une rupture progressive des usages de la roue Cyr, au point de la rendre vivante.

Ghetto, cie Dissociée, Marcelo Nunes (France) : l’addiction, comme un serpent silencieux, emprisonne son personnage dans une boucle infernale. En combinant fakirisme et clown, le spectacle dévoile les contradictions humaines. Savoir accueillir ses faiblesses serait-il gage d’une humanité plus authentique, plus résistante ?


« In Difference », Jef Everaert, Marica Marinoni © Christophe Raynaud de Lage ; « Ghetto », Marcelo Nunes cie Dissociée © P.L.A.T La Central

Les tendances

Né il y a plus de 20 ans à l’initiative du ministère de la Culture et déployé dans toute l’Europe grâce au co-financement de l’Union Européenne, circusnext fait partie des labels permettant de gagner un temps précieux. Assister aux restitutions nous met (presque) dans la posture des programmateurs qui consacrent beaucoup de temps à la recherche, pour dénicher les perles rares. Heureusement qu’il existe ces dispositifs de repérage, qui permettent de découvrir ces talents prometteurs. Certains festivals, comme le Chaînon Manquant, assurent aussi cette fonction.

Le processus de sélection se déroule en plusieurs étapes. Nous avons pu assister à la présentation au plateau devant un public de professionnel·le·s invité·e·s. Et le cru 2025 des finalistes est plutôt bon. Le jury composé d’artistes et de représentant·e·s des lieux partenaires a retenu 12 projets portés par 17 auteur·trice·s de cirque contemporain aux formats pluriels. 6 nationalités sont représentées : France, Espagne, Italie, Suède, Belgique, Pays-Bas. On compte 6 solos, 2 duos, 1 trio et 2 collectifs.

Cette sélection offre aussi un petit panorama des tendances actuelles, des approches à la fois artistiques, sensibles et profondément ancrées dans le réel. Les thématiques sociétales traduisent l’engagement des jeunes circassien·ne·s, comme Hack the Circus (Justine Bernachon-Irisarri, Farö Céleste), spectacle de science-fiction low-tech qui interroge la cohabitation, la mémoire et l’oubli : dans un futur post-apocalyptique, trois survivantes trouvent refuge dans un abri occupé par la végétation et des vestiges électroniques. Une thématique largement développée depuis quelques temps…

Parmi les finalistes 2025

Nous connaissons déjà deux compagnies découvertes dans des festivals. Attentif à la relève, Richard Fournier, directeur du Plongeoir PNC Le Mans avait programmé la cie Inéluctable, il y a déjà deux ans (lire notre critique). On retrouve donc avec plaisir Marius Fouillant. La cie Betterland est aussi déjà bien inscrite dans les réseaux, comme l’atteste l’impressionnante liste de coproductions. Nous sommes perplexes sur le résultat, une forme inaboutie de « western contemporain » qui mêle « mauvais » théâtre et numéros de cirque sans grand intérêt, dans une esthétique kitsch qui dessert le propos : comment rendre justice ?

Marie Chapouillié (directrice de 2r2c et marraine) nous rappelle quelques fondamentaux : il s’agit du partage d’un work in progress, parfois non représentatif du spectacle final ; le stress liés aux enjeux de présenter une maquette devant une salle de professionnel·le·s peut jouer en défaveur des candidat·e·s… Elle insiste : « Certes, ce travail est frais mais gagnera en maturité, comme le précédent, la Boîte de Pandore. J’avais alors soutenu le projet, dès le début, car comme pour Body Territory, le spectacle était prometteur. La thématique et l’énergie de cette compagnie qui vient des arts de la rue, méritent attention. De plus, la fragilité est inhérente à la démarche consistant, entre autres, de recueillir des témoignages de femmes victimes, le jour-même de la représentation ». Relevons ce soutien sans faille, cette confiance qui permettent aux compagnies de monter des projets complexes.

Fakir et néons

Pour notre part, nous retenons effectivement Ghetto (cie Dissociée), à l’esthétique particulièrement soignée (scénographie et éclairages magnifiques, qualité plastique) en parfaite adéquation avec son choix thématique. Sur la piste recouverte de verre concassé, Marcelo Nunes nous fait ressentir comme jamais la souffrance liée à l’addiction, notamment grâce au Fakir, une discipline décidément au goût du jour, puisque présente dans le projet suivant. La solitude est bien restituée dans un subtil jeu d’adresse au public et la dramaturgie déjà bien avancée. À suivre de près !

Encore du verre en miettes, donc, dans Kimera, mais cette fois-ci pour traduire une quête identitaire. Cecilia Alice Manfrini interroge la fragmentation, la déconnexion et la rupture. Le miroir se brise, et après avoir recollé les morceaux, une question se pose : est-ce toujours moi ou suis-je devenue autre chose ?

Que de néons, cette année ! Ça nous change des fumigènes, toujours très à la mode… Dans Insomnia, les tubes sont carrément dupliqués. À la corde verticale, Jakob Jacobsson rend compte de sa perception du temps, des rythmes inégaux, entre les minutes qui s’étirent et la course contre la montre. La bande son et la conception lumière, sources intenses de sensations (effets stroboscopiques) et d’images en suspens, nous plongent dans un temps incertain. Saisissant ! L’agrès est revisité de façon maline, même si la forme prend trop le dessus sur le fond.

En revanche, In Difference nous a bluffée. Jef Everaert et Marica Marinoni réinventent la pratique de la roue Cyr, pourtant très présente ces dernières années. On n’a jamais vu un duo pareil ! À deux dans cette roue (tout contre, ensemble, envers et contre tout), la performance est époustouflante. Quelle grâce et puissance ! Quelle technique, aussi ! Si le propos ne se distingue pas par une grande originalité, l’écriture est singulière, poétique. Il est fort à parier que nous retrouverons bientôt ces artistes ailleurs.

Oui, ces formes donnent une idée du foisonnement du cirque de création européen, comme aime à le rappeler Sabrina Abiad, directrice de circusnext. En effet, celui-ci, riche d’écritures audacieuses ou d’expérimentations, se porte bien. Assister à ces différents projets en une seule soirée permet de le vérifier.

Léna Martinelli 


Site
Oasis 21 • 2, rue de la Clôture • 75019 Paris
Contact : info@circusnext.eu

Théâtre de la Cité Internationale • 17, Boulevard Jourdan • 75014 Paris
Jeudi 12 et vendredi 13 juin 2025, à 19 h 30 
Tarifs : de 5 € à 12 €
Réservations : billetterie en ligne ou au 01 85 53 53 85

Photo de une : « Ghetto », Marcelo Nunes cie Dissociée © Christophe Raynaud de Lage   

 

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