Un monologue de haute volée
Par Bénédicte Fantin
Les Trois Coups
Seule sur un plateau dépouillé, la comédienne Pauline Bayle incarne une militaire de l’US Air Force forcée de se reconvertir dans le pilotage de drones. Un réquisitoire contre les dérives de la guerre moderne brillamment traduit et mis en scène.
Une pilote anonyme en tenue de combat fixe la ligne d’horizon. Elle semble constamment chercher du regard ce bleu du ciel qui la fait vibrer. Bien campée sur ses deux jambes, solide malgré l’apparente jeunesse, la militaire nous raconte la fierté à endosser sa combinaison de pilote dûment méritée et si constitutive de son identité : « Moi avec cette tenue. Je l’avais gagnée. Ça c’était moi, maintenant. Voilà qui j’étais. »
Elle se livre à nous : la satisfaction à évoluer et à se faire respecter dans un univers masculin, l’ivresse du danger, les missions accomplies sans fausse note, puis la rencontre dans un bar, la grossesse inattendue mais heureuse, et enfin le besoin de reprendre du service, de réendosser le costume pour répondre à l’appel du ciel.
Seulement, à son retour, plus question de transpercer l’azur avec son « Tiger ». La jeune-femme se voit reléguée aux commandes d’un drone, piloté à distance depuis une base militaire de Las Vegas. Le champ de bataille virtuel se transforme alors en une espèce de jeu vidéo malsain où l’on tue avec un détachement inquiétant. Malgré les efforts pour se ménager un sas de décompression entre la base militaire et son foyer, les deux espaces finissent par se contaminer : la mère se refuse à tuer une cible bien trop jeune, tandis que la pilote voit sa fille avec les yeux d’un drone.
Un texte dense et une interprétation rythmée
La pièce de George Brant, d’une grande densité, doit être portée par une interprète habitée pour que toute sa charge critique nous parvienne. Pauline Bayle remplit parfaitement sa mission de transmission en assumant le texte de sa belle voix grave. La comédienne parvient à se réapproprier les mots de l’auteur américain en proposant un portrait de femme-enfant, entière et courageuse. Les ruptures de rythme parfaitement maîtrisées permettent de laisser affleurer les doutes de la jeune femme, progressivement gagnée par un sentiment d’absurdité qui la fragilise. Quelques respirations supplémentaires auraient été bienvenues pour mieux révéler les failles du personnage, mais aussi pour aider le spectateur à digérer le flot ininterrompu de paroles.
La mise en scène de Gilles David, sociétaire de la Comédie Française, laisse la part belle à l’interprète en faisant le choix d’une mise en scène sobre et lumineuse. Placée au centre d’une plateforme blanche, la jeune-femme semble parée pour un décollage qui n’aura, pourtant, plus jamais lieu. ¶
Bénédicte Fantin
Clouée au sol, de George Brant
Traduction : Dominique Hollier
Le texte est édité à L’avant-scène théâtre – Collection des quatre-vents
Mise en scène : Gilles David, sociétaire de la Comédie Française
Scénographie : Olivier Brichet
Lumières : Marie-Christine Soma
Costume : Bernadette Villard
Son : Julien Fezans
Avec : Pauline Bayle
Durée : 1 h 20
Photo : © Marina Raurell
Le Nouveau Ring • 7, rue Trial • 84000 Avignon
Dans le cadre du Off d’Avignon
Du 7 au 28 juillet 2017, à 16 h 20, relâche le 17, 29 et 30 juillet
De 10 € à 22 €
Billetterie : 09 88 99 55 61
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