« Combat (1944‑1945), Albert Camus et la pratique de l’idéal », de Denis Randet, Théâtre des Barriques à Avignon

Combat © D.R.

La pratique de l’idéal : une révolte et un défi

Par Morgane Patin et Léna Martinelli
Les Trois Coups

Joué dans le cadre du Off, « Combat (1944‑1945), Albert Camus et la pratique de l’idéal » apporte un éclairage singulier sur la période de la Libération. Revivre cette tranche d’histoire cruciale permet d’interroger les notions d’engagement et d’exigence en matière de politique ou de journalisme. Passionnant !

« De la résistance à la révolution » : telle est la devise de Combat, né du réseau de résistance du même nom, lequel a vécu quatre ans dans la clandestinité. Quand ils animent le journal, un des plus marquants du xxe siècle, Pascal Pia et Albert Camus ont pour ambition de faire vivre l’esprit de la Résistance après la Libération, pour que les amis morts ne l’aient pas été en vain.

Pour écrire sa pièce, Denis Randet s’est appuyé, entre autres, sur les 133 éditoriaux rédigés par Camus entre le 21 août 1944, date de l’insurrection de Paris et de la parution officielle du journal, et le 15 novembre 1945. Ces éditoriaux, à qui l’on doit une bonne partie de l’influence de Combat, témoignent des querelles de l’époque, mais renseignent aussi sur la conception du journalisme de Camus, en lien étroit avec les thématiques privilégiées de son œuvre : la révolte, l’engagement, le refus du médiocre.

Nous voilà donc plongés au cœur de la rédaction, de la veille de la Libération jusqu’au départ de Camus. L’ambiance est surchauffée dans le petit local, un temps clandestin. Autour, les tirs, les manœuvres militaires de la fin de la guerre, sans oublier les contingences qui perdurent, comme le papier rationné. Histoire du journal, contextes politique et social et débats de l’époque, pensée de l’écrivain… tout y est !

Camus, figure tutélaire

Dans cette pièce, on retrouve le Camus qu’on connaît : l’intellectuel engagé, mais également celui qui fait la fête à Saint‑Germain, le séducteur. Surtout, on découvre une facette de l’auteur que l’on sait moins : l’écrivain saisi dans ses doutes autant que dans ses victoires. Au sein de Combat, ses idéaux sont confrontés à l’actualité, à la réalité. L’autorité exceptionnelle du général de Gaulle n’efface pas les divisions héritées de la défaite et de la collaboration. Comme le sous-titre du spectacle l’indique bien, l’idéal rencontre la mise en pratique. Aussi voit-on la désillusion gagner progressivement Camus, puis le reste de l’équipe.

La pièce n’est pas pour autant entièrement dévolue à Camus. Ses éditoriaux lui donnent certes corps, mais l’écrivain n’est qu’un membre parmi d’autres. Des personnages attachants qui participent grandement à la réussite du spectacle : au centre, Camus, bien sûr, rédacteur en chef et brillant animateur ; Pia, directeur du quotidien, éminence grise et homme de l’ombre efficace ; ainsi que Marianne, jeune résistante passionnée en quête d’absolu. Autour de ce triangle, les personnages secondaires sont eux aussi intéressants : le disciple de Sartre, le typographe communiste, l’ancien résistant du réseau Combat et le maquisard débutant illustrent parfaitement les différents courants, les tensions au sein même de ceux qui ont résisté. Tous sont incarnés avec justesse par l’ensemble des comédiens.

Le rythme des scènes est plutôt rapide. Qu’ils soient lus ou qu’ils participent aux débats animés entre les personnages, les éditoriaux ne plombent pas le spectacle. Au contraire ! On discute beaucoup, mais on rit aussi – quand on ne désespère pas –, on boit, on fume, on danse. La metteuse en scène Clémence Carayol tente d’impliquer les spectateurs dans les interrogations soulevées par l’actualité, aux choix éditoriaux à arbitrer, aux questions morales. C’est donc documenté et bien vivant.

Au cœur de la mise en scène, les débats idéologiques traduisent la vague d’espoir qui soulève les esprits une fois Paris libéré, et saisissent ce qu’avait d’exaltant cette idée d’un monde nouveau, d’une autre politique, d’une transformation réelle de la société, à commencer par la création d’une presse indépendante, libre de sa pensée. La pièce montre aussi la mort lente de cette espérance quand les manipulations politiciennes reprennent le dessus et trahissent l’idéalisme. Passionnés et vifs, ces débats permettent ainsi à la fois une redécouverte des enjeux de l’époque et une interrogation sur l’engagement, que ce soit en matière politique ou journalistique.

Plus de soixante‑dix ans après, ce que Camus a écrit et inspiré demeure. La pratique de l’idéal est une révolte et un défi. Même si l’on quitte le théâtre en se demandant si nous n’avons pas aujourd’hui abdiqué un peu vite, par facilité, on ressort en même temps « gonflé à bloc » par ces individus portés par un idéal. 

Morgane Patin et Léna Martinelli


Combat (1944-1945), Albert Camus et la pratique de l’idéal, de Denis Randet

Mise en scène : Clémence Carayol

Avec : Luc Baboulène, Christophe Charrier, Jean‑Hugues Courtassol, Marie‑Laure Girard, Aurélien Gouas, Jean‑Matthieu Hulin, Philippe Perrard

Illustrateur sonore : Rémi Castiglia

Régie : Jean‑Yves Perruchon

Photo : © D.R.

Théâtre des Barriques • 8, rue Ledru‑Rollin • 84000 Avignon

Réservations : 04 13 66 36 52

Site du théâtre : http://www.theatredesbarriques.com

Du 6 au 30 juillet 2016, relâche les 11, 18, 25 juillet, à 16 h 5

18 € | 12 € | 10 €

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