« Courage Modèle » de Gwenael Morin, Ensatt, à Lyon

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Les leçons d’une épopée

Par Trina Mounier
Les Trois Coups

Une mise en scène de Gwenael Morin suscite toujours la curiosité, surtout d’un texte comme « Mère Courage et ses enfants » interprété par les élèves de l’Ensatt. Un regard plus pointu sur le programme nous apprend qu’il s’agit, non de Gwenaël Morin, mais de Bertolt Brecht en personne… De quoi aller y voir de plus près !

Les marques de fabrique de Gwenael Morin en disent long sur sa recherche. Prenons par exemple la distribution aléatoire des rôles par tirage au sort, soir après soir, à laquelle il prête de nombreuses vertus. Les résultats sont parfois décevants, voire franchement ratés, mais il n’est pas de meilleure méthode pour former un groupe d’acteurs à l’exigence, à la modestie, à l’intime et complète connaissance d’une œuvre puisqu’elle le contraint à la savoir dans son entier.

Aussi, quand est apparu sur le programme des Ouvertures de l’Ensatt (ces « derniers travaux » d’une promotion avant que les « élèves » ne soient jetés pour de bon dans la vie professionnelle) : « Courage Modèle », mise en scène de Gwenael Morin, ma curiosité a-t-elle été piquée. D’autant que je le tiens pour un des meilleurs directeurs d’acteurs qui soient, capable de transformer des amateurs en professionnels, alors des comédiens déjà aguerris.

Courage-modèle-Gwenael-Morin © David Anémian
© David Anémian

La pièce dure presque trois heures. Et le résultat est bluffant. On se laisse prendre par ce regard en cascade : un metteur en scène d’aujourd’hui monte un auteur du XXe siècle qui écrit sur une pauvre et inculte cantinière. Celle-ci traverse la guerre de Trente ans qui déchiré l’Europe au XVIIe siècle, de Pologne en Bavière, avec sa carriole chargée de schnaps et de menus objets à vendre aux soldats et en compagnie de ses enfants ; à qui elle interdit de s’enrôler (et donc de mourir). Le destin en décidera autrement.

Mais le véritable sujet de la pièce, c’est la liberté d’une femme du peuple qui survit dans la tourmente avec pour seule morale la rage de rester en vie et de garder vivants ses enfants. Ce faisant, l’auteur interroge sur contagiosité de la perte des vertus morales en ces temps dramatiques. La guerre enrichit les puissants, mais laisse suffisamment de miettes aux petits pour qu’ils en viennent à la souhaiter.

Travail de troupe

La comédienne qui interprétait le rôle-titre ce soir-là, Romane Buunk, était tout bonnement époustouflante de vérité, maniant tour à tour avec dextérité le mensonge éhonté et la fausse naïveté, déterminée, meneuse d’hommes incomparable, bref courageuse, mais aussi cruelle et inconséquente. Les autres acteurs n’étaient pas en reste, tous audibles, justes, à leur place, capables de jouer ensemble une histoire collective (des qualités hélas pas toujours au rendez-vous).

Gwenaël Morin est connu pour l’exigence qu’il met au travail sur la langue, même quand il dirige des amateurs. Une fois de plus, cette fois-ci avec des élèves triés sur le volet et presque professionnels, c’est magnifique. Ainsi, sont-ils chacun amenés à chanter un solo a capella, une de ces vieilles chansons populaires que Rayan Ouertani, acteur de cette troupe temporaire, a adaptées en leur donnant des intonations contemporaines. Magnifique travail musical.

Courage-modèle-Gwenael-Morin © David Anémian
© David Anémian

Quant à la scénographie de Marie Bonnemaison, elle trace un cercle de craie qui ferme l’espace de jeu à l’intérieur duquel tourne la carriole de Mère Courage, entouré de simples grandes toiles de drap blanc qui coulissent sur des tringles, et sur lesquelles figurent parfois des inscriptions au marqueur noir : presbytère détruit, ferme en feu… Difficile de faire moins réaliste. On ne joue pas avec le pathos. Et on retrouve l’empreinte de Gwenaël Morin pour qui le texte se suffit presque à lui-même, pour peu qu’il s’appuie sur l’imaginaire du spectateur. Et pourtant les costumes sont d’époque et rien n’est fait pour parer cette Mère Courage d’une quelconque nouveauté.

En un mot on suit les trois heures de spectacle sans s’ennuyer, avec un intérêt toujours stimulé par la gouaille de cette Mère Courage, par les rebondissements de l’intrigue, par l’humour du metteur en scène. D’autant que la guerre d’Ukraine redonne à ce texte une actualité dont on se serait bien passé ! 


Trina Mounier 

Courage Modèle, de Bertolt Brecht

Conception : Gwenaël Morin

Mise en scène : Bertolt Brecht

Assistanat : Léo Martin

Dramaturgie : Barbara Jung

Costume : Elsa Depardieu

Scénographie : Marie Bonnemaison

Adaptation musicale : Rayan Ouertani et Lucille Courtalin

Traduction de la chanson de la grande capitulation : Irène Bonnaud

Régie et création lumière, vidéo, son : Malounine Buard

Durée : 2 h 45 entracte compris

Ensatt • 4, rue Sœur Bouvier • 69005 Lyon

Du 23 mars au 1er avril 2022

Billetterie


À découvrir sur Les Trois Coups :

Leurs enfants après eux, de Nicolas Mathieu, Les Nuits de Fourvière à l’Ensatt, par Trina Mounier

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