Un jaillissement créatif continu
Par Jean‑François Picaut
Les Trois Coups
Pour sa sixième création rennaise, depuis qu’il est artiste associé au Théâtre national de Bretagne (2010), Philippe Decouflé a voulu réaliser un évènement spécial destiné à la ville qui l’a accueilli.
Courtepointe est la nouvelle création de Philippe Decouflé dédiée au T.N.B. dont il a apprécié la confiance et aux Rennais avec lesquels le chorégraphe a su tisser des liens très forts.
Tout commence dans la salle, avant même l’extinction des lumières. Les musiciens sont au parterre, au pied de la scène, installés avec leurs instruments sur un tapis coloré. Des sortes de quinquets qu’on dirait échappés de quelque lieu oriental, palais ou taverne, leur procurent un discret éclairage. Bientôt, de vagues fantômes, vêtus de longues combinaisons blanches avec cagoule, évoluent dans la salle. L’un d’eux guide une jeune fille en tenue virginale qui a les yeux bandés. La magie propre à Decouflé est en marche.
L’artiste définit son œuvre comme « une forme expérimentale […], une série de pièces courtes, des expériences spectaculaires ». Le spectacle est divisé en deux parties séparées par un entracte de dix‑huit minutes (c’est précis).
Une inventivité généreuse
La durée de la première partie avoisine les cinquante minutes. Tout commence par un instant de pure grâce, au chant des oiseaux. Une série de tableaux rapides mêle la fluidité de la danse classique, l’énergie de la danse moderne et des figures de cirque. La séduction érotique d’un saxophone de jazz (admirable Peter Corser qui joue aussi de la clarinette et de la guitare) s’ajoute à la suggestivité de la danse qui va jusqu’à simuler la dévoration amoureuse. Le paysage musical fait également appel au hip‑hop, au beat boxing et aux boucles électroniques. Chez Decouflé, les interprètes savent tout faire, telle Violette Wanty qui danse, chante et joue de la flûte ou Raphaël Cruz qui joint un peu de piano à sa danse.
Bientôt, le duo charmeur laisse place à une troupe mixte en justaucorps d’Arlequin. La danse, sur fond de musique baroque, évoque les ballets de cour. L’inventivité généreuse de Decouflé fait se succéder des ombres chinoises d’une exquise délicatesse et des évolutions de corps, que l’on dirait siamois, en fusion, qui débouchent sur du contorsionnisme. C’est l’un des moments de gloire d’Anaëlle Molinario dont la souplesse de liane n’a d’égale que l’élégance. Elle brille aussi dans un numéro très gracieux de hula hoop.
Après l’entracte, le spectacle fait un très large appel à la vidéo. C’est une tradition bien ancrée chez Decouflé qui fait filmer ses interprètes en direct et joue immédiatement de leur image sur l’écran. J’avoue avoir moins adhéré aux premiers moments de cette seconde partie. Placés sous le signe de la culture urbaine (musique et danse), ils m’ont paru en assumer aussi la violence.
Decouflé ne déteste pas jouer sur et avec les codes. Il revêt le personnel de scène de blanc au lieu du noir conventionnel. Il fait précéder un effeuillage d’une séquence d’habillage. Il joue sur le costume masculin-féminin.
Parmi les scènes qui m’ont semblé particulièrement réussies, je citerai une métaphore de l’évolution humaine, de la créature qui rampe à l’homme debout. Le jeu avec une femme (en fait elles sont deux) dans un cerceau est particulièrement poétique.
Outre les artistes déjà salués, il faut féliciter toute la troupe qui a contribué à la création de ce moment magique : Julien Ferranti, Merixtell Checa Esteban, Suzanne Soler et Flavien Bernezet. Avec cette Courtepointe, qui n’a rien de l’édredon douillet, Philippe Decouflé a fait un beau cadeau au public rennais. ¶
Jean‑François Picaut
Courtepointe, de Philippe Decouflé
Direction : Philippe Decouflé
Assisté de : Alexandra Naudet (danse), Olivier Simola (images) et Pierre Le Bourgeois (musique)
Avec : Violette Wanty, Raphaël Cruz, Anaëlle Molinario, Julien Ferranti, Merixtell Checa Esteban, Suzanne Soler et Flavien Bernezet
Musiques originales : Pierre Le Bourgeois (violoncelle, claviers) et Peter Corser (saxophone ténor, clarinette et guitare)
Théâtre national de Bretagne • salle Vilar • 1, rue Saint‑Hélier • 35000 Rennes
Réservations : 02 99 31 12 31
Du 27 septembre au 8 octobre 2016 à 20 heures
Durée : 1 h 30 avec entracte
20 € | 11 €
Photo : © Christian Berthelot