Le roi Régis
Par Bénédicte Soula
Les Trois Coups
L’évènement théâtral à Toulouse, c’est bien évidemment l’œuvre-jubilé de Didier Carette au Sorano, « Cyrano de Bergerac ». La première a eu lieu mercredi, dans une atmosphère de grande tension et d’émotion. Verdict au terme de deux heures trente de représentation : ovation debout pour « Cyrano » et une palme pour Régis Goudot dans le rôle-titre.
Tout avait commencé par une déception : Didier Carette n’enfilerait pas le costume du Gascon fort en nez, boutefeu et plein de panache, taillé pourtant sur mesure. Et puis, naturellement, Régis Goudot a récupéré de l’aîné l’uniforme du Cadet, alors même que quelques comédiens minotaures (Gérard Depardieu, Jacques Weber) avaient fini par nous convaincre qu’un homme fin comme une lame de fleuret ne pourrait plus désormais l’interpréter. Et pourtant…
Pourtant, ce fut magnifique ! Non seulement rien ne manque à ce Cyrano : panache, éloquence, courage et héroïsme (ces qualités qui déjà, à l’époque de Coquelin, font de lui un personnage unique, réinventé par Rostand pour être immédiatement admiré, compris et aimé). Mais encore Régis Goudot étoffe le personnage. Tout ce qui lui manque de masse corporelle, de pesanteur physique, il le compense par la pertinence de ses prises de parole, l’intelligence de ses déplacements, la sincérité de son jeu. Les répliques coulent en cataracte sans jamais se heurter à une hésitation ou à un bredouillement. Sont-elles archiconnues, il leur impose sa propre musique, ses propres arrangements vocaux pour les rendre inédites à nos oreilles.
Le Goudot qui fait déborder le vase
La célèbre « tirade des nez », par exemple, n’est pas dans sa bouche une simple comptine mille fois entendue, mais un pur moment de commedia dell’arte. Le texte est un peu long, moins accessible ? Il en fait un moment comique par excellence… Rien n’est inutile, tout est intense. Les 1 600 vers sont toujours restitués avec justesse, découpés au cordeau, avec en prime ce brin de folie maîtrisée qui fait de Goudot un comédien redoutable. Il manie avec brio son art terrible de la complicité, comme s’il jouait pour chacun d’entre nous, et que chacun d’entre nous, de l’orchestre au balcon, allait recevoir de lui au moins un regard. Scènes de cape et d’épée, scènes d’amour avec la belle Roxane, Régis excelle dans tous les genres jusqu’au final en apothéose. C’est la tirade superbe des « non, merci » dans laquelle Goudot fait déborder le vase émotionnel. On pense alors à Didier. Et à Daniel Sorano, enterré quelque part en France dans son costume de Cadet de Gascogne.
Roxane, de Guiche et Ragueneau
Pour le reste, la distribution est tout à fait à la hauteur, même si on est un peu désarçonné par une Roxane outrageusement érotisée, dévoilant beaucoup de sa nudité sous une chemise de nuit blanche. Les autres interprètes excellent, à commencer par l’étonnant Christian Brazier, irrésistible en Ragueneau, le troubadour de la tarte amandine.
La mise en scène, dépouillée, est sublime de sobriété. Comme souvent chez Didier Carette, elle nous projette dans un ailleurs indéterminé, en dehors de toute histoire et de toute géographie. Un univers de conte pour enfants, dirait-on ici. Un arbre étique, une fenêtre projetant des ombres chinoises, et sous la pâleur d’une immense lune de carton, Cyrano l’homme du terroir prend des airs de Pierrot triste. Les jeux de lumière, qui tout au long racontent l’histoire d’un homme de l’ombre, offrent ainsi un deuxième niveau d’écriture. Il y en a un troisième, plus admirable encore, portée par la création musicale de Charlotte Castellat et Stanislas Michalski, jouée en direct sur scène. Une douce musique qui accompagne magnifiquement les vers d’Edmond Rostand. Bravo. ¶
Bénédicte Soula
Cyrano de Bergerac, d’Edmond Rostand
Cie Ex-abrupto • 35, allées Jules-Guesde • 31000 Toulouse
05 34 31 67 16
Mise en scène : Didier Carette / Céline Cohen / Marie‑Christine Colomb
Avec : Grégory Bourut, Christian Brazier, Charlotte Castellat, Régis Goudot, Jean‑Luc Krauss, Lise Laffont, Stanislas Michalski, Reynald Rivart, Guildin Tissier, Louis de Villers
Décors : Jean Castellat, Charlotte Presseq
Création musicale : Charlotte Castellat, Stanislas Michalski
Création lumière : Philippe Ferreira et Alain Le Nouëne
Création son : David Dilliès
Création costumes : Brigitte Tribouilloy
Marionnettes : Charlotte Presseq
Photo : © Patrick Moll
Diffusion : Karine Chapert
Théâtre Sorano • 35, allées Jules-Guesde • 31000 Toulouse
Réservations : 05 34 31 67 16
http://www.sorano-julesjulien.toulouse.fr/
Du 1er au 17 décembre 2010, mardi, mercredi, jeudi à 20 heures, vendredi et samedi à 21 heures, dimanche à 16 heures, relâche le lundi
Durée : 2 h 30
19 € | 8 €