Odyssées amoureuses
Par Léna Martinelli
Les Trois Coups
Entre théâtre et danse, « D’amour déluge » traite du mystère de l’amour. Une plongée dans les abysses de la passion, sa complexité, ses contradictions, et une vision lumineuse de ses dépassements. Sublime et inspiré !
Peut-on s’aimer au-delà du raisonnable ? D’amour déluge met en scène le couple dans tous ses états, depuis l’euphorie de la rencontre jusqu’à la déchirure de la séparation, en passant par la névrose conjugale ou la routine du quotidien. Cette immersion dans les profondeurs de la passion rend compte du trouble de la chair, donne corps aux rêves les plus débridés, témoigne aussi de ce qui reste après la fusion : le déluge. Loin d’être idyllique, cette vision est lucide sur la réalité, où aimer s’apparente plutôt à un combat (contre l’autre et contre ses peurs), à une résistance de tous les instants. Éclats d’une vie. Paradis artificiel.
Depuis la création de sa compagnie, Benoît Théberge mène une recherche exigeante sur le langage physique et le jeu d’acteur, ainsi que sur la danse contemporaine. Le désir d’écrire en duo avec Marie Delmas, actrice de la plupart de ses spectacles depuis 2002, est le fruit d’une intense collaboration artistique. Après Nous ne sommes pas séparés inspiré de la poésie d’Henry Bauchau, leur dernier opus met à nouveau en scène des corps dans des compositions oniriques. Mais cette fois-ci les mots appartiennent à un langage imaginaire, une langue venue du fond des âges. Ces auteurs ont inventé un ensemble de phonèmes hybrides. Toutefois, loin d’être abstraite, la pièce nous parle, car elle est enracinée dans le réel, adossée au plaisir des sens. Surtout, elle atteint ainsi une certaine universalité.
Récits immémoriaux
Puisant leur inspiration dans les mythes d’Adam et Ève ou de Pyrrha et Deucalion, Marie Delmas et Benoît Théberge détournent des lieux de culte et de mémoire pour en faire leur terrain de jeu, où se croisent Centaure, putain fabuleuse, amant délaissé, femme fécondée. Éros n’est pas loin. Les vibrations de Vénus parviennent jusqu’à nous. Mais où sommes-nous ? Pas au septième ciel ! Aux confins de la vie et de la mort, cette incessante quête d’amour semble asservie à une volonté supérieure énigmatique. Comme si la spiritualité était le seul rempart à la solitude. À moins que la solution ne soit dans le chant céleste de la maternité…
D’histoires millénaires découlent de nouveaux rites. Tout en fragments, entre genèse et fin du monde, noce divine et fête païenne, scène de copulation et de ménage, Marie Delmas et Benoît Théberge inventent leur propre mythologie. Leurs personnages traversent les espaces-temps, mais ces ultimes rendez-vous avec l’amour appartiennent bien à notre époque. Ici et maintenant. Entre attraction et répulsion, le spectateur est mis au défi de cette forme déroutante et fascinante à la fois où les corps se dénudent sans pudeur, où les âmes dansent sous nos yeux ébahis. Force des émotions. Expérience vivifiante.
De vibrantes incarnations
Ce que le théâtre dit ici, il le dit avec des mouvements, des silences et des non-dits. Autant de signaux d’une réalité complexe que seules les trajectoires humaines peuvent raconter. Ça pulse, ça palpite, sur le plateau. Quelle qualité de mouvement ! Au cœur de leur sujet, les interprètes saisissent à bras le corps le mystère de l’amour. Amour charnel ou sublimé, frontal ou renversant, la rencontre avec l’autre dérive vers des continents sensoriels rarement si bien explorés. Rendant la scène incandescente de leurs ébats, ils laissent des traces bien au-delà de leurs corps tantôt caressés, tantôt malmenés. D’emblée, ce qui frappe dans le travail de la compagnie 0, c’est effectivement la sensualité : les corps sculpturaux, les formes pleines ou creuses, le grain de la peau, une larme de poésie sur un sein…
Les scènes qui prennent aux tripes alternent avec des tableaux à la beauté sauvage où terre, eau, air, feu – évidemment – réenchantent le monde. Transportés ! Le mot est faible. Dans cet espace traversé de sons et d’images, le montage musical (Vivaldi, Arvo Pärt, Brian Eno, Takashi Kako, The Doors…) contribue aussi pour beaucoup à la qualité du voyage : extraordinaire que le Requiem de Mozart remixé avec Pump up the Jam de Technotronic !
Mieux qu’à Gif-sur-Yvette ou Jouy-en-Josas, Plaisir était une ville prédestinée pour recevoir D’amour déluge. Surtout, le Théâtre Eurydice a su prendre les risques de la création. L’accueil chaleureux réservé à cette première est de très bon augure pour la suite. Ce magnifique spectacle mérite de rencontrer un vaste public. ¶
Léna Martinelli
D’amour déluge, de Marie Delmas et Benoît Théberge
Cie 0
Tél. 01 30 53 56 09
Courriel : zero.theatre@free.fr
Site : http://www.zerotheatre.com
Avec : Marie Delmas et Benoît Théberge
Collaboration artistique : Renaud Farah
Lumières : Benoît Théberge
Costumes : Marie Delmas
Photo : © D.R.
Théâtre Eurydice • 110, rue Claude-Chappe • 78370 Plaisir
Réservations : 01 30 55 50 05
Site du théâtre : http://eurydice-seay.fr/
Le 31 octobre 2015 à 20 h 30
Durée : 1 h 15
13 € | 10 € | 5 €
Teaser : https://youtu.be/H3CVfeQnafU
Prochaines représentations au Centre national de la danse à Pantin (93)
Réservations : 01 30 53 56 09
Mardi 10 novembre à 19 heures, lundi 16 novembre à 11 heures, samedi 5 décembre à 11 heures, mardi 15 décembre à 19 heures