Au cœur du système
Par Jean‑François Picaut
Les Trois Coups
Stanislas Nordey présente au festival Mettre en scène une version remaniée de « Das System », œuvre de Falk Richter qu’il a donnée à Avignon, cet été.
Das System est un ensemble de textes nés du choc provoqué par les premières interventions de troupes allemandes, sur des « théâtres extérieurs », depuis la Seconde Guerre mondiale. Le jeune auteur allemand, né en 1969, s’y propose de questionner, de mettre en cause, notre système politique, économique, de société, ce qu’il appelle aussi « notre manière de vivre », au sens où l’on parle d’une « american way of life ». Cette manière de vivre est aussi une représentation du monde.
Chemin faisant, Richter s’interroge sur la possibilité d’un théâtre politique, aujourd’hui. Que peut être, dans notre monde fondé sur l’argent et le paraître, un tel théâtre qui ne répéterait pas le « théâtre engagé ou militant », ni les procédés de l’« agit-prop » ?
Dans une société où les politiques nous « racontent des histoires », où le choc des photos et leur succession incessante ont remplacé le poids des mots, Richter ose nous prévenir : « Il n’y a pas de pièce, désolé ! ». Plus tard, il précisera : « Il n’y a pas d’images ». Il y a donc seulement un texte qui prétend dire la réalité et peut-être l’expliquer.
La mise en scène de Nordey épouse cette esthétique. Le plateau est tantôt fermé par des draps d’un blanc immaculé, tantôt cerné par d’innombrables ampoules électriques nues, sagement disposées par rangées, comme les étoiles sur le drapeau américain, ont observé certains. On retrouve ici des constantes de son travail : une gestuelle, économe de ses moyens et comme ritualisée, une diction impeccable. Les comédiens portent le texte, ont à cœur de le faire entendre, dans toutes les acceptions du terme, et y parviennent le plus souvent. Mais leur tâche est rude tout au long des quatre heures que dure le spectacle, entrecoupé, il est vrai, de deux entractes.
C’est que le texte est disparate, mêlant un monologue de l’auteur lui-même, qui traite de sa création, et des pièces en un acte, qui mettent en scène des personnages fictifs dans des situations réelles ou du moins réalistes, où apparaissent des personnages du monde politique, économique et médiatique, surtout américain et allemand. Ce théâtre-là ne se cache pas d’être didactique, voire démonstratif. Que ce soit dans son propre propos ou dans les pièces présentées, l’auteur n’échappe pas aux longueurs. On sait que les écueils qui guettent un tel théâtre sont la logomachie, voire la logorrhée. Richter tombe souvent dans la première et n’évite pas toujours la seconde.
Crier « fuck ! » sur tous les tons, appeler à « enculer » Bush ou à le violer, traiter Barbara Bush ou Angela Merkel de « salope », de « truie », de « pute », et j’en passe, fait peut-être du bien à celui qui se défoule ainsi, mais je doute que cela fasse avancer d’un iota la compréhension et surtout la critique de l’univers dans lequel nous vivons et du système d’oppression qu’il a installé. La comparaison avec Incendies de Wajdi Mouawad, dans la mise en scène du même Nordey, est cruelle sur ce point.
Pourtant, Das System contient d’excellents passages sur l’aliénation au travail ou dans le couple, sur la façon dont les victimes consentent plus ou moins à leur exploitation en se situant, à la fois, à l’intérieur et à l’extérieur du système. Richter touche juste également dans son analyse de la « démocratie médiatique » quand il dénonce le lobbying de la presse et sa force d’inertie. Il sait démonter le credo de l’Américain moyen et pointer le retour au Moyen Âge et aux croisades sous l’apparence d’une guerre chirurgicale, vitrine de la technologie. Il dénonce avec pertinence la croyance qui fonde le libéralisme : « Il n’y a pas de société, il n’y a que des individus ».
Au demeurant, le spectacle comporte de purs moments de théâtre et, comme tous ceux qui m’entouraient dans une salle à demi-pleine, je les ai savourés sans retenue. Je citerai d’abord le duo Claire‑Ingrid Cottanceau et Moanda Daddy Kamono : il faut avoir vu l’actrice interroger le spectateur, l’œil gourmand : « C’est bien, non ? », chaque fois qu’un constat affligeant est fait, et l’air dégagé de son partenaire, qui essaie de se persuader, comme Candide, que « tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles ». Il faut également rendre hommage à Frédéric Leidgens qui, dans Unter eis, compose un admirable personnage d’employé écrasé par un monde où règne Big Brother. En définitive, comme les spectateurs qui ont longuement applaudi, j’ai été plus sensible à l’engagement des comédiens qu’à la mise en scène et au texte. ¶
Jean-François Picaut
Das System, de Falk Richter
Traduction : Anne Monfort
Mise en scène et scénographie : Stanislas Nordey
Collaboratrice artistique : Claire‑Ingrid Cottanceau
Stanislas Nordey est artiste associé au Théâtre national de Bretagne
Avec : Mohand Azzoug, Claire‑Ingrid Cottanceau, Moanda Daddy Kamono, Olivier Dupuy, Damien Gabriac, Frédéric Leidgens, Julie Moreau, Véronique Nordey, Laurent Sauvage, Margot Segreto et, en alternance, Guillaume Doucet, Félicien Girault, Émile Schmalzl‑Dréan
Lumière : Philippe Berthomé
Son : Michel Zurcher
Régie générale : Antoine Guilloux
Régie son : Yohann Gabillard
Régie lumière : Alice Ruest
Régie plateau : Tugdual Tremel
Photos : © Brigitte Enguérand
À partir du corpus de textes suivants : le Système, État d’urgence, Hôtel Palestine Under Attack, Sept secondes (traduction de Danielle De Boeck), Sous la glace
Les éditions de L’Arche sont agent théâtral des textes représentés
Théâtre national de Bretagne, salle Ropartz • 1, rue Saint‑Hélier • 35000 Rennes
Billetterie : 02 99 31 12 31
Mardi 11 et 18 novembre 2008 à 19 h 30, mercredi 12 et 19 novembre 2008 à 19 h 30, jeudi 13 et 20 novembre 2008 à 19 h 30, vendredi 14 et 21 novembre 2008 à 19 h 30, samedi 15 et 22 novembre 2008 à 15 heures
Durée : 4 h 25, avec deux entractes
Entrée : 5 €