Un rien, c’est tout ?
Par Léna Martinelli
Les Trois Coups
C’est avec « Days of Nothing » que le festival Immersion de l’Onde s’est ouvert. Une pièce brillante de Fabrice Melquiot servie par une mise en scène subtile de Matthieu Roy et une interprétation hors pair.
Un écrivain dans un collège ! Pas là pour « pondre un rapport sur les maladies nerveuses », mais bel et bien pour rédiger un roman. En résidence dans un établissement de banlieue, Rémi Brossard n’est pas à la fête. « En panne radicale de talent », comme il l’avoue lui-même, il peine à trouver les mots pour écrire, ainsi que pour dialoguer avec les jeunes. Sa rencontre avec eux, notamment Maximilien et Alix, va d’ailleurs tourner au pugilat. Le premier, caïd au cœur tendre, a tout du maniaco-dépressif et la seconde, qui le mène fort bien en bateau, est une peste à tendance mythomane. En effet, cet écrivain n’a-t-il pas le pouvoir de lui tailler, sur mesure, l’histoire d’amour idéale ?
Avec eux deux, Rémi Brossard est dans la « merde » jusqu’au cou. « T’es qu’une merde » tance justement le morveux. Tout d’abord coi devant une telle arrogance, l’écrivain finit quand même par réagir : « Tu me fais chier petit trou du cul ». Les provocations de Maximilien, livré à lui-même, atteignent leur but : « taquiner le poisson » pour attirer l’attention sur lui et nouer une relation, même si elle « merdique ». Mieux vaut prendre un peu de « re-cul », car les insultent fusent. Sauf que, composés par Fabrice Melquiot, les dialogues ont une saveur toute particulière.
Choc des mots ! C’est bien de cela qu’il est question dans cette pièce de cet auteur, qui n’a jamais été politiquement correct. Au-delà des difficultés d’inspiration et du processus de création artistique, ce dernier aborde ici des sujets graves : le suicide, la pédophilie, le mal-être chez les jeunes, le rapport à l’autorité, les dysfonctionnements de l’institution. Sans limites ni tabous. Et ça cogne !
Secouer plutôt que choquer
Ici, les corps se heurtent et se frôlent. Ou presque ! « Un gamin qui est mort presque à cause de rien », se désole Rémi, « j’aurais presque pu le sauver ». La tragi-comédie tourne au drame. On est secoué ! Pourtant, la présence au cœur des choses de cet écrivain désabusé n’a rien de déplacé. La responsabilité des intervenants en milieu scolaire est cruciale. Quelle claque ! Cette expérience agit sur lui comme un électrochoc, change radicalement son rapport au monde, aux autres et à la vie. Pour ces personnages en perte de repères, confrontés au vide de leur existence, l’enjeu est de trouver leur place, de ne pas passer à côté, de combler les manques. Or, dans ce lieu, c’est l’adulte qui grandit, car il a beaucoup à apprendre de l’enfant pour accompagner au mieux celui-ci. L’éducation n’est-elle pas un partenariat qui repose sur l’échange intergénérationnel ?
Avec cette pièce sur la genèse d’un roman et l’importance de raconter des histoires, nous sommes donc bien plongés dans le processus de création. Il s’agit aussi d’ausculter le pouls d’un système éducatif au bord de la crise de nerfs en rappelant la responsabilité de tous les maillons de la chaîne : famille, école, culture. Et cela est plutôt salutaire dans un contexte de remise en cause du soutien public. Ironisant sur l’éducation artistique et culturelle, Fabrice Melquiot bouscule effectivement au passage les institutions dotées de bonnes intentions, mais quelque peu dépassées. C’est une chose de voter des lois *, encore faut-il avoir les moyens de les appliquer !
Ode à la création
Le diagnostic est implacable. En guise de remède, l’auteur fait une ode à la création. Pour permettre une prise de conscience, celui-ci préfère recourir aux moyens de la poésie, ce qui n’est pas pour déplaire à la compagnie du Veilleur soucieuse de développer l’esprit critique, laquelle achève un triptyque autour des figures de l’adolescence. Cette brillante écriture est d’ailleurs mise en scène de façon très subtile. Matthieu Roy sert parfaitement la pièce, car, avec tous ses excès (langage ordurier, échanges musclés, miroir grossissant de la réalité…), celle-ci nécessite une approche tout en délicatesse. La direction d’acteur est précise avec des partis pris de distanciation très justes. Ici, pas de pathos ni de naturalisme. Du coup, on ne s’attache pas aux personnages. On ne les juge pas non plus. On essaye seulement de comprendre. Les interprètes sont très convaincants, y compris dans la caricature. Bravo à Hélène Chevallier pour sa prestation exceptionnelle, mais on n’en dira pas plus. Dans ce thriller psychologique, il faut savoir ménager les coups de théâtre.
Quant aux choix scénographiques, ils sont d’une redoutable efficacité. Le cube en verre, qui représente à la fois la salle de classe et l’appartement de Rémi Brossard, fait tantôt penser à un aquarium, tantôt à une bulle. Lieu de tous les conflits, le dispositif évoque plus qu’il ne montre. De manière générale, l’esthétique relève de l’abstraction avec des propositions sonores et visuelles proches de l’installation. Pertinent aussi, le travail sur la réalité augmentée, réalité que l’écrivain cherche à fuir, mais dont les adolescents font partie intégrante. Du rien au vide et du réel à la fiction, en somme !
Cette pièce pleine de sens a le mérite de poser des questions importantes, notamment existentielles. Conseillée à partir de 12 ans, elle leur « parle ». Elle requiert toutefois un accompagnement pour éclaircir les enjeux et susciter un débat. Ne voilà-t-il pas un moyen efficace de démontrer la nécessité de l’action culturelle ? Un spectacle non didactique mais instructif : c’est ce qu’on appelle l’art du paradoxe, non ? ¶
Léna Martinelli
* L’éducation artistique est centrale dans les discours politiques. Elle fait même l’objet d’une circulaire interministérielle, publiée le 9 mai 2013, qui en précise les principes et les modalités : « De l’école au lycée, le parcours d’éducation artistique et culturelle a pour ambition de favoriser l’égal accès de tous les élèves à l’art à travers l’acquisition d’une culture artistique personnelle ».
Days of Nothing, de Fabrice Melquiot
L’Arche éditeur, 2012
Cie du Veilleur • 26, rue Carnot • 86000 Poitiers
06 11 94 85 24
Site : www.compagnieduveilleur.net
Courriel : claire@cieduveilleur.net
Mise en scène : Matthieu Roy
Avec : Philippe Canalès et Hélène Chevallier
Scénographie : Gaspard Pinta
Maquillages, coiffures, effets spéciaux : Kuno Schlegelmilch
Costumes : Noémie Edel
Lumières : Manuel Desfeux
Création vidéo : Nicolas Comte
Espaces sonores : Mathilde Billaud
Collaboratrice artistique : Johanna Silberstein
Assistante à la mise en scène : Marion Lévêque
Régie générale : Léa Maris
Régie son : Alban Guillemot
Régie lumières et vidéo : Maëlle Payonne
Photo de Days of Nothing : © Jean-Louis Fernandez
L’Onde • 8, avenue Louis-Bréguet • 78140 Vélizy-Villacoublay
Réservations : 01 74 78 38 60
Site : www.londe.fr
Courriel : labilletterie@londe.fr
– Transports en commun : de Châtillon à Vélizy, le tramway T6 vous dépose au pied du théâtre, station l’Onde ; 30 minutes de Saint-Michel en R.E.R. C, arrêt Chaville-Vélizy, puis 10 minutes en bus cvj ou czi, direction Vélizy, arrêt Robert-Wagner
– Voiture : depuis la porte Saint-Cloud, prendre la direction Pont-de-Sèvres, puis N118 direction Bordeaux-Chartres et A86 direction Versailles, sortie Vélizy Centre
Du 23 au 24 mars 2015, à 21 heures
Durée : 1 h 15
28 € | 21 €
Âge minimum conseillé : 12 ans
Tournée :
- Les 1er et 2 avril 2015 : Les 3 T – Théâtre de Châtellerault
- Le 3 avril 2015 : A.T.P. de Biarritz
- Le 7 avril 2015 : A.T.P. d’Orléans
- Le 8 avril 2015 : A.T.P. de Lunel
- Le 9 avril 2015 : A.T.P. d’Uzès
- Les 16 et 17 avril 2015 : Théâtre du Fil-de-l’Eau à Pantin
- Le 20 avril 2015 : A.T.P. d’Aix-en-Provence
- Le 28 avril 2015 : A.T.P. de Villefranche-de-Rouergue
- Le 29 avril 2015 : A.T.P. de Millau
- Le 12 mai 2015 : A.T.P. de Poitiers