La vie, à fleur de peau
Par Léna Martinelli
Les Trois Coups
C’est « De passage » qui ouvre La Grande Escale des Tréteaux à Paris. Coup de cœur pour ce conte initiatique tout public de Stéphane Jaubertie, dont l’écriture fine et inspirée est admirablement servie par la mise en scène lumineuse de Johanny Bert. Plus qu’un travail d’orfèvre, c’est un chef-d’œuvre !
Un enfant et sa mère, des poils et des plumes, des fleurs qui n’en finissent pas d’éclore… Neuf-dix ans, c’est l’âge où l’on se pose beaucoup de questions sur son identité, ses racines. Justement, ce garçon découvre un terrible secret : il est un enfant adopté. Or, il ne connaît pas ses parents. Jusque-là, sa mère adoptive lui semblait une montagne, surtout qu’elle travaille dans un service de soins palliatifs pour soulager des gens que la vie abandonne. Et voilà que tout s’écroule ! Le mensonge, la peur, la transmission : autant d’interrogations qui touchent l’enfant comme l’adulte.
Que se noue-t-il au-delà des simples liens du sang ? Dans cette fable universelle, Stéphane Jaubertie traite de sujets graves, mais tout en subtilité, au rythme des saisons. Il nous donne ainsi à éprouver le temps. Celui de la brièveté de la vie et celui bien sûr du théâtre, pour apprendre que rien ne dure, tout se perd. D’où le titre. De passage, qui se déroule sur une année, nous dit l’indicible. Mort et amour enlacés. Pourtant, c’est d’une vivacité incroyable. Et même joyeux.
Sur scène, le narrateur, dont on comprendra que c’est en fait son histoire, nous guide entre les courtes saynètes, en utilisant le détour de la poésie : « Il n’y a que trois jours importants dans la vie d’un homme : hier, aujourd’hui et demain. D’où tu es, si tu regardes bien, tu peux voir dans le noir. ». Dans les yeux de cet enfant qui n’arrive pas à dormir surgissent en effet des images. Et quelles images ! Car en plus de sa quête d’identité, il va devoir surmonter une autre épreuve. Comme dans tous les contes. Pas de pomme empoisonnée ici, mais une pierre qui a fait son nid dans son cerveau. Et plutôt qu’une terre lointaine dévastée, son propre corps comme champ de bataille.
Au cœur de l’intime
Pour accompagner allégorie, métaphores et autres figures de style : tissu d’images et bouquet de sensations. Le théâtre d’ombres et les projections sur grand écran permettent au jeune garçon d’accomplir son périple. Quoi de mieux que de jouer avec les ombres pour révéler le secret des origines ? Davantage que de simples illustrations, les images offrent, au contraire, d’intéressants contrepoints aux mots. D’ailleurs, les premières mentent parfois aux seconds et vice versa. Au-delà de l’exceptionnelle qualité visuelle de ce spectacle, ce traitement est donc un parti pris dramaturgique d’une grande pertinence : « Les secrets sont faits pour être sus », rappelle justement l’enfant.
Johanny Bert a réuni comédiens et marionnettes dans un dispositif atypique, y compris sur le plan sonore. Équipés de casques, les spectateurs profitent mieux de cette histoire qui leur est racontée au creux de l’oreille, avec bruitages quotidiens, espace onirique et musique. Au plus près de ce que vit cet enfant (la curiosité, la peur, la colère, l’apaisement), le public participe pleinement à ce voyage inoubliable entre réel et imaginaire. Jusqu’à sentir l’haleine de neige de la Mort. C’est bouleversant, à fleur de peau, mais jamais larmoyant ou terrifiant.
Enfin, avant le début du spectacle, des enfants sont sélectionnés parmi l’assistance, pour suivre la représentation depuis un point de vue inhabituel : derrière la scène. En effet, ce que l’on regarde en ombre portée n’a souvent rien à voir avec l’objet en tant que tel. L’envers du décor, mais pas pour casser la magie ! Le concept, c’est que ces spectateurs complices racontent à leurs camarades ce qu’ils ont vu en coulisses et de favoriser les échanges sur la création d’un spectacle, la fabrique du rêve.
Johanny Bert a non seulement de bonnes idées. Il a la main verte. Sa mise en scène inventive révèle, de façon admirable, cette écriture délicate et puissante à la fois. Avec son équipe (les acteurs sont tous très justes, la création lumière une merveille), il a su remarquablement faire germer ce récit sensible sur la fragilité de notre monde où rien n’est sombre, finalement, mais éclatant de vitalité. Pour sûr, en semant de la sorte des petites graines, enfants et parents devraient grandir. Mieux grandir. ¶
Léna Martinelli
De passage, de Stéphane Jaubertie
Le texte est paru aux éditions Théâtrales en 2013, collection « Répertoire contemporain »
Mise en scène : Johanny Bert
Contact diffusion : Maud Desbordes
Tél. 06 82 57 50 36
Courriel : maud.desbordes@treteauxdefrance.com
Avec : Maxime Dubreuil ou Ludovic Molière (en alternance), Laëtitia Le Mesle, Christophe Luiz, Cécile Vitrant
Assistant à la mise en scène : Thomas Gornet
Scénographes associés : Éric Charbeau et Philippe Casaban
Objets, accessoires et marionnettes : Judith Dubois et Amandine Livet
Création lumière : David Debrinay
Création sonore : François Leymarie
Régie son : Simon Muller
Régie lumière : Gilles Richard
Photo : © Jean‑Louis Fernandez
Théâtre de l’Épée-de-Bois • la Cartoucherie de Vincennes • route du Champ‑de‑Manœuvre • 75012 Paris
Dans le cadre de La Grande Escale des Tréteaux à Paris
Site : http://www.treteauxdefrance.com/les-spectacles/en-tournee/de-passage
Réservations : 01 48 08 39 74
Site du théâtre : www.epeedebois.com
Du 26 mai au 2 juin 2016, le 26 mai et mercredi à 14 heures, samedi et dimanche à 14 h 30
Durée : 1 heure
20 € | 10 €
À partir de 9 ans