« De Profundis », Oscar Wilde, Théâtre l’Albatros, Festival Off Avignon 

De-Profundis-Oscar-Wilde © Philippe-Hanula

Lumineuse résilience

Par Florence Douroux
Les Trois Coups

D’une beauté fulgurante, « De Profundis » d’Oscar Wilde évoque l’amour et la trahison, la douleur et le pardon. Le récit d’une renaissance, merveilleusement interprété par Josselin Girard, dans une mise en scène signée Bruno Dairou. Une pépite de la compagnie des Perspectives.

Doucement, le comédien chante et caresse le visage dessiné sur une bâche immense tendue en front de scène. Un moment d’intériorité avant ce coup d’envoi, célèbrissime : « Cher Bosie ». Nous y voilà ! Ce qui va suivre est à la fois terrible et merveilleux.

De Profundis est la lettre prodigieuse d’un prisonnier hors du commun, enfermé pour deux ans de travaux forcés, dans l’Angleterre victorienne du XIXe siècle. Après la perte de son procès contre le père de son jeune amant Lord Alfred Douglas (surnommé « Bosie »), Oscar Wilde, alors en pleine gloire, voit sa vie basculer tragiquement dans l’infamie : il est condamné pour « grave immoralité ». Vers la fin de sa détention, il obtient l’autorisation d’écrire à Bosie, par lequel le malheur est arrivé.

Cette lettre, intitulée De Profundis est un manifeste de résilience, un merveilleux chant d’amour blessé : cruellement déçu par son amant, tant pendant les années communes que lors de sa détention, Oscar Wilde y évoque, dans une écriture somptueuse, les graves tourments de la désillusion. Il fallait, pour faire jaillir toute la beauté de ce texte-là, un comédien charismatique. « Lorsque j’ai rencontré Josselin Girard, il jouait un répertoire comique. Mais il y avait une tristesse dans son regard, comme une blessure. Je l’ai trouvé très wildien », explique Bruno Dairou, le metteur en scène.

Poète aux ailes brisées

Seul sur scène, avec trois fois rien, l’acteur, de sa voix vibrante, nous immerge dans ce cortège de déceptions. Le regard perdu dans le lointain est lourd d’amertume. « Je me blâme d’avoir permis qu’une amitié dont le but primitif ne fut pas la création et la contemplation de choses belles ait totalement dominé ma vie ».

De-Profundis-Oscar-Wilde © Philippe-Hanula
© Philippe Hanula

Écorché vif, encagé, enragé, Josselin Girard parle d’amour et de haine aveugle, de vanité et d’humilité, du vice suprême de « manque d’imagination », d’un silence « sans excuse, sans atténuation ». Son jeu puissant et plein révèle l’immense qualité littéraire du texte et l’intensité des sentiments contraires qui l’habitent. Ce spectacle-là a du poids. Le comédien réussit à refléter une ankylose de l’être et de son art : un poète aux ailes brisées.

Regard perdu dans le lointain des souvenirs, Josselin Girard, absolument poignant, est tout entier cet homme enfermé, affrontant les ténèbres pour retrouver le jour. Une traversée du désert, dans un clair-obscur parfait. La lumière toujours parcellaire, en effet, étroite, peu généreuse, enveloppe cependant l’essentiel : le visage, les mains, le carnet de l’écriture, le torse. Et parfois le rien du décor : une ou deux caisses. Demi-clarté cellulaire, crépusculaire, qui se balade, en même temps qu’affluent les mots du déchirement. Ah ! Que c’est éloquent !

Mais la vraie lumière, dans cet espace nu de la geôle, celle qui surgit peu à peu dans le regard du comédien, c’est bien le pardon envers l’amant. Seule issue pour transmuter la douleur et changer le plomb en or. Josselin Girard, la sensibilité à fleur de peau, nous hisse avec lui, progressivement, sur la berge du salut de son âme. « Je n’écris pas cette lettre pour verser l’amertume dans votre cœur, mais en délivrer le mien. Pour mon propre bien, il faut que je vous pardonne ». Dans le sourire mêlé de larmes de Josselin / Wilde, se lisent l’espérance et l’apaisement. Au-delà de la souffrance – grâce à elle –, la renaissance semble finalement possible. Superbe. 🔴

Florence Douroux


De Profundis, d’Oscar Wilde

Traduction : Henri-D. Davray
Le texte est édité chez Flammarion
Site de la compagnie des Perspectives
Adaptation et mise en scène : Bruno Dairou
Interprétation : Josselin Girard
Création lumières : Arnaud Barré
Design graphique : Camille Vigouroux
Durée : 1 h 10

Théâtre l’Albatros • 29, rue des Teinturiers • 84000 Avignon
Du 7 au 30 juillet 2022, à 16 heures
De 10 € à 20 €
Réservations : 04 90 86 11 33 ou 04 90 85 23 23 ou en ligne
Dans le cadre du Festival Off d’Avignon, du 7 au 30 juillet 2022
Plus d’infos ici

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