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« le Portrait de Dorian Gray », d’après Oscar Wilde, l’Escale à Tournefeuille

« Le Portrait de Dorian Gray » de Stéphane Battle © Grenier de Toulouse

Un portrait sur un plateau

Par Bénédicte Soula
Les Trois Coups

Faire passer une œuvre picturale des cimaises au plateau d’un théâtre, sans jamais la montrer, voilà le pari fou tenté par le metteur en scène Stéphane Batlle. Banco ! « le Portrait de Dorian Gray » restitue l’étonnant pouvoir magique du roman d’Oscar Wilde, révélant aux yeux du monde l’âme des comédiens et du metteur en scène. Lumière.

Dans une soirée mondaine, un peintre à belle renommée, Basil Hallward, reconnaît en un jeune éphèbe son idéal de beauté. Il en fait un portrait : admirable, semble-t-il. C’est alors que survient, tel Méphisto, Lord Henry, dandy, sybarite, hédoniste, qui décide, un peu par malice, de prendre le jeune homme sous son aile… Un être peut-être encore trop tendre, trop fragile, pour recevoir en héritage cet idéal de vie décadent, matérialiste et purement esthétique. Dorian y perd son âme, dans l’aveuglement général – le tableau présentant seul les stigmates de cette corruption. L’œuvre vieillit. Le portrait s’enlaidit, devient même monstrueux, à l’image de plus en plus noire de cette âme dévoyée, tandis que le modèle semble éternellement épargné par le temps.

Voilà de longues années que le metteur en scène, co-directeur du Grenier de Toulouse, Stéphane Batlle, tentait de traduire sur les planches l’émotion qu’il avait ressentie à la lecture du chef-d’œuvre – et unique roman – d’Oscar Wilde. Après quelques tentatives manquées de mise en scène dans les années 1990 et 2000, Batlle, comme un peintre chagrin, s’est donc remis au travail, recouvrant ses premières ébauches, jusqu’à obtenir cette version-là, définitive et éclatante. Mieux encore : dans cette création, désormais fidèle au roman de Wilde (comme le portrait de Basil l’est à la beauté de Dorian Gray), affleure, à la surface d’un texte longtemps mâché et digéré, le sens profond et tragique de l’œuvre littéraire, et le désespoir absolu de son auteur.

Le théâtre du théâtre

La première des fidélités : un esthétisme que n’aurait pas renié Wilde lui-même. Les lumières jouent leur chorégraphie avec maîtrise, entre aplats de noir et jets ciblés de blancheur diaphane, projetant sur le plateau toutes les nuances d’un Portrait subtil et complexe. Quant à l’architecture scénographique, elle est plus belle encore, dans sa composition à étages, en écho à la construction mentale du narrateur. C’est ainsi, magie du théâtre, que flash back, souvenirs et autres propos rapportés se regardent, cristallisés sur le plateau, de manière presque cinématographique.

« Le Portrait de Dorian Gray » de Stéphane Battle © Grenier de Toulouse
« Le Portrait de Dorian Gray » de Stéphane Battle © Grenier de Toulouse

L’inventivité de la mise en scène tient surtout à l’occupation de l’espace, jouant beaucoup de la confusion orchestrée entre réel et représentation. N’oublions pas que nous sommes ici dans « le roman fantastique », familier des jeux miroitants de mise en abyme. Que dire de ce moment suspendu – extraordinaire – où Gray, Lord Henry et Basil le peintre rejoignent le public dans la salle, pour découvrir, « au théâtre », le premier grand amour de Dorian, la comédienne Sybil Vane, en train de jouer Salomé ?

Révélations en série

À ce propos, Rose-Hélène Michon est splendide en Sybil. Tout comme Laurent Collombert semble magistral en Lord Henry. Mais la révélation de cette pièce demeure le jeune (et jusqu’alors inconnu) Loïc Carcassès dans le rôle-titre. Quelle performance ! Quel engagement ! Juste, que ce soit au piano dont il joue avec grâce, ou quand il restitue son texte : aucune fausse note, tout en virtuosité, avec en prime ce petit grain de douleur qui le rend crédible en jeune homme torturé. Enfin, Pierre Matras est particulièrement touchant dans la peau de Basil Hallward. On le connaît comme acteur comique, impeccable dans les partitions bouffonesques. Dans ce rôle de peintre tout à son art, qui demande, à rebours, de la retenue, de la sobriété, Matras prouve toute l’étendue de sa palette de comédien, convainquant quelle que soit la partition qu’on lui donne à jouer.

Un mot, enfin, sur le metteur en scène, « révélé » également par la magie de ce Portrait fantastique. Stéphane Batlle – lumineux et léger à la ville – se dévoile bien plus sombre et complexe qu’on ne l’imaginait, réservant à son art sa part d’ombre, ses questionnements, ses doutes et ses angoisses (comme Dorian Gray). À noter, quelques scènes de violence montrées en plateau, inhabituelles pour une production du Grenier de Toulouse. Il faut dire que dans cette création, tout le monde s’est mis à nu… Décidément, ce Portrait détient bien des pouvoirs magiques.

Bénédicte Soula


Le Portrait de Dorian Gray, d’après Oscar Wilde

Mise en scène : Stéphane Batlle

Avec : Loïc Carcassès, Laurent Collombert, Pierre Matras, Rose-Hélène Michon, Yohann Villepastour, Muriel Darras

Durée : 1 h 30

Compagnie le Grenier de Toulouse

Photo : © Grenier de Toulouse

L’Escale • Place Roger Panouse • 31170 Tournefeuille

Du 16 au 27 mai, à 20 h 30 du mercredi au samedi, à 16 heures le dimanche

Réservations : 05 31 22 10 15

De 9 € à 19 €

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