« Demolition Party », Antoine Le Menestrel, Théâtre de l’Olivier, Scènes & Cinés, Istres

Demolition-Party, Théâtre de l’Olivier-Antoine-Le-Menestrel © DR

Traverser le temps

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Les Trois Coups

À Istres, la population était conviée à quelques surprises hautes en couleurs, lors d’une « Demolition Party » en compagnie d’Antoine Le Menestrel, chorégraphe-danseur de façade. Un préambule original et audacieux à la célébration des 25 ans du Festival Les Élancées, qui augure de la suite, enthousiasmante.

Les palissades colorées attisaient la curiosité. Cette semaine, elles ont disparu. Si le chantier est resté interdit au public, l’équipe s’activait différemment. Rendez-vous était pris aux abords du Théâtre de l’Olivier, déjà en travaux, afin de lancer, avec la cie Lézards Bleus et tous les curieux, sa démolition et la construction du nouveau lieu.

Pour rendre un dernier hommage à cet édifice istréen emblématique, Anne Renault, directrice artistique de Scènes et Cinés, a aussitôt pensé à Antoine Le Ménestrel. À plusieurs reprises, celui-ci a animé des stages de danse verticale avec des présentations publiques (2004 en 2006). Quand on lui avait alors demandé d’investir l’intérieur du théâtre, il avait fait fabriquer des chaussures spéciales munies de crochets en métal pour grimper sur le gril. Il avait effectivement envisagé l’espace dans sa totalité, faisant même traverser les jeunes, en tyrolienne, au-dessus du public. La collaboration s’est poursuivie avec la création de Lignes de vie, puis trois résidences à Miramas (2016) et la présentation d’un spectacle sur les façades du Théâtre La Colonne à l’occasion de ses 30 ans (les Grimpeurs éperdus).

Cet « enchanteur des parois qui a élevé la grimpe au rang de beaux-arts », comme le qualifie Stéphanie Ruffier (lire son son entretien à propos de « la Dictature du haut »), avait déjà marqué notre esprit, lors de son escalade de la Cour d’honneur du Palais des papes d’Avignon, dans Inferno, de Romeo Castellucci. Près de 15 ans plus tard, Antoine Le Ménestrel nous fait encore prendre de la hauteur.

Dans la brochure commémorant les 20 ans des Élancées, il décrivait ainsi sa démarche : « Avec mes prises, j’écris une escalade porteuse de dramaturgie et je découvre le lien intense qui se tisse avec les spectateurs. Je peins avec mon corps en dansant sur les murs, je fais chanter les façades urbaines, je suis un allumeur de rêves ». En effet, à Istres aussi, il a laissé dans son sillage des traces poétiques indélébiles.

« Demolition Party »

La pluie incessante présageait du pire, mais une heure avant l’événement, le miracle s’est produit. À peine secs, les projecteurs étaient à nouveau calés, le parcours balisé. À pied d’œuvre, les équipes n’ont pas chômé. Les planètes se sont alignées, pourrait-on dire, pour que se réalise cet instant de grâce. Plutôt que des cloches, ce sont les percussions de la batucada locale qui ont annoncé l’arrivée d’Antoine Le Ménestrel. Galvanisés par ces bonnes vibrations, les gens étaient prêts à accueillir cet ange venu délivrer du baume au cœur à ceux, nombreux, attachés à ce théâtre qui trône là depuis plus de 90 ans ! « J’espère juste ne pas m’effondrer, en même temps que les colonnes », nous avait confié Anne Renault, qui y travaille depuis plus de 30 ans.

Dès l’origine, pièces, concerts, soirées dansantes et projections en ont fait un haut lieu de l’animation istréenne. Cette ancienne salle des fêtes, transformée en théâtre, avait été rénovée à plusieurs reprises, avec une troisième et ultime mue dans les années 90, intégrant ses fameuses colonnes néoclassiques, mais avec une jauge réduite à seulement 580 places. Trente ans après, le bâtiment était devenu vétuste, pour ne pas dire obsolète.

En place, le grutier avait un de ces tracs ! D’emblée, la machine a créé une tension avec le corps du danseur, mais ce duo entre fer et chair s’est aussitôt empreint de douceur. L’engin en vrombissait presque de plaisir ! Une main qui cueille, un bras qui porte… Cette machine humaine a élevé et sublimé les gestes créatifs. Alors, seulement, quelques colonnes ont pu être détruites. À l’aube de sa retraite, c’était une première pour Robert : transporter un funambule ! D’ailleurs, tous ses proches étaient là, car cet entrepreneur a décidé de transmettre l’entreprise familiale sur ce coup d’envoi symbolisant le passage à une nouvelle ère.

C’est encore Anne Renault qui a souhaité ce clin d’œil à Transports exceptionnels de Dominique Boivin, autre chorégraphe invité à Scènes et Cinés. Ce spectacle a marqué l’histoire de la danse. Un passé révolu qu’il ne faut pas regretter, comme l’a souligné François Bernardini, maire d’Istres et vice-président de la Métropole Aix-Marseille-Provence : « Nous avons toujours été tournés vers l’avenir. Ce nouveau théâtre ouvre de nouveaux horizons ».

Et avec ce geste artistique, ce nouvel acte de l’histoire de la ville, il s’agit de « transformer la nostalgie en une énergie positive », renchérit Nicole Joulia. La 1ère adjointe, déléguée à la culture, vice-présidente du Conseil départemental des Bouches-du-Rhône, présidente de Scènes & Cinés, a également évoqué la servante, cette lumière traditionnelle qui reste allumée sur la scène quand tout le reste est éteint, un phare dans la nuit, une vigie qui veille au bien-être des âmes errantes dans les théâtres.

Temps suspendu ?

Certes, vendredi soir, les repères étaient quelque peu chamboulés. Invité à suivre les pérégrinations d’Antoine Le Ménestrel depuis le sol, le public ne savait plus où donner de la tête. Le funambule a évolué sur le théâtre et au-dessus de nous, parmi les branches du vieux platane, lui aussi à la fête. Toutefois, il était davantage question de créer des passerelles imaginaires que de suspendre le temps. Nous en avons eu plein les mirettes, grâce à une belle mise en lumière et une projection présentant l’enthousiasmant projet du cabinet Wilmotte & Associés. Le nouveau Théâtre de l’Olivier devrait être un outil performant à l’aspect séduisant : « une forme organique insérée de manière sensible dans son environnement », selon Jean-Michel Wilmotte (plus d’infos ici).

Ses courbes évoquent l’étang, en face. Mais les arbres du parvis ont également été déterminants dans sa conception. Préservés, ils seront même lovés au sein de l’ensemble : « On s’est incliné devant les platanes et on a créé une ondulation sur la façade », explique l’architecte mondialement connu. Deux entrées sont prévues, ainsi qu’un bar, un restaurant panoramique avec terrasse. Les espaces d’accueil seront lumineux avec de grandes baies vitrées, pour un théâtre ouvert sur la ville.

Le budget prévisionnel est de 27 millions d’euros, avec une livraison prévue en 2026. C’est la commune qui assure la maîtrise d’ouvrage pour le compte de la Métropole Aix-Marseille-Provence : « Un projet au diapason de notre ambition. Nous pouvons nous targuer d’être moteurs d’un réseau territorial dynamique », s’enorgueillit François Bernardini. « Cet équipement va faire date : moderne, adapté aux conditions d’organisation de grands spectacles et des flux de public, modulable et confortable, il va en imposer par sa prestance, attirer le regard, la fierté et le plaisir. Ce nouveau théâtre traduit la volonté de confirmer l’importance de la culture dans notre politique générale de service public à la population et notre place au sein de la Métropole comme un lieu de rayonnement culturel de haut niveau ».

Le nouveau théâtre comportera deux salles (870 et 146 places assises), une vaste scène (327 m2 et 11 m d’altimétrie sur 22 m d’ouverture), une petite salle d’exposition, des équipements technologiques de pointe et de grandes loges pour des conditions d’accueil artistiques optimales. « Dans la continuité de ce que nous faisons déjà, nous allons pouvoir imaginer de nouvelles audaces », savoure déjà Nicole Joulia. « C’est un vrai choix politique. La culture, c’est vouloir pour ses citoyens l’ouverture et la rencontre. ».

Déambulation poétique pour transition en douceur

Mais pour l’heure, place aux saisons vagabondes de Scènes et Cinés. Répartie sur d’autres sites, la programmation continue d’être foisonnante. Place également à l’éphémère. Aussi symbolique que spectaculaire, cette Demolition Party a touché au merveilleux, au vertige du rêve. En ré-enchantant ainsi ses parois, avec son équipe, Antoine Le Ménestrel a rendu un hommage magnifique à l’existant et ouvert, grand, un chemin vers le futur.

Sur ce terrain de jeu spécial, entre ciel et terre, il s’est imposé comme un ange gardien, un guide, un éclaireur. Perché, il n’a pas manqué de faire des culbutes, dignes d’un troubadour, dont il est peut-être un descendant (avec un tel patronyme !) sur une musique reliant aussi les époques. Entre le centre-ville historique et la mairie située à l’opposé, le chorégraphe a tissé un lien artistique d’une infinie délicatesse, entre l’ancien et le nouveau. Ensuite, une dernière visite du théâtre, organisée par Office de Tourisme, a permis de dire définitivement adieu à l’ancien théâtre.

Ce moment était à vivre. Finalement, Anne Renault était revigorée (voir le sujet au JT de France 3 Provence-Alpes à partir de 19’) et pressée, comme beaucoup, d’être à l’inauguration. Pour immortaliser ce moment, des images ont été prises, notamment avec un drone, et par Fu Le, chorégraphe, plasticien et vidéaste associé au PE2C. Ce travail artistique est associé à de la médiation culturelle. Un travail de collectage (dessins, paroles) complétera le projet, surnommé Le Schmilblick. L’enregistrement sera inséré dans le disque dur du nouveau Théâtre de l’Olivier. Pas enterré dans les décombres de l’ancien bâtiment, comme c’est souvent le cas, mais exposé tel une mémoire vive honorant les lustres d’antan. D’ici là, d’autres temps forts festifs rythmeront les grandes étapes du projet. À suivre donc ! 🔴

Léna Martinelli


Demolition Party, d’Antoine Le Menestrel

Cie Lézards Bleus
Théâtre de l’Olivier • Place Jules Guesde • 13800 Istres

Scènes et Cinés : site ou 04 42 56 48 48
Office de Tourisme de la Ville d’Istres : site ou 04 42 81 76 00

À découvrir sur Les Trois Coups :
☛ Les Élancées 2024, annonce de Léna Martinelli

Photos 2, 4, 7, 8 © Patrice Leïva • Photos de 11 à 17 © Wilmotte & Associés • Les autres, dont celle de une © DR

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