« Des pieds et des mains », cie NGC 25, critique, Théâtre du Train Bleu, Festival Off Avignon 2025

Des_pieds_et_des_mains © Ernest_S._Mandap

Cordes sensibles

Florence Douroux
Les Trois Coups

Danse et musique alternent dans ce solo composé en 2020 par le chorégraphe Hervé Maigret, à la tête de la compagnie nantaise NGC 25. Du sur mesure pour l’équatorien Pedro Hurtado, qui livre ici une performance pleine de feu, avec, pour seul partenaire, un piano. De la passion et de ses chaînes vers la libération, l’intimité d’un parcours artistique, dans un spectacle fougueux et touchant.

L’histoire est belle. Elle évoque le dilemme quasi existentiel de l’artiste entre jouer du piano et / ou danser sa vie. Elle est quête de soi et d’expression personnelle. Trouver sa juste place et son propre langage, le thème est ambitieux. Mais il est porté par un artiste de grand talent, qui se met corps et cœur à l’œuvre, pour une évocation de l’exigence artistique. S’il évoque le sacrifice, le don de soi, les ornières de parcours, le spectacle montre aussi la vénération de l’interprète pour ses deux disciplines de prédilection, ainsi que ses promesses de liberté. Une exploration intérieure d’une grande sincérité par un danseur / pianiste aux multiples cordes sensibles, qui sait de quoi il parle.

Dans cette double énergie, Pedro Hurtado alterne tous les rythmes et sait atteindre, sans transition, les différences de concentration exigées par le jeu pianistique et la chorégraphie, faisant ainsi moult grands écarts entre deux forces presque contraires. Dans un même élan, il change de registre et de langage. Pieds et Mains. Des mains qui dansent sur le clavier, aussi habilement que les pieds entraînent la danse. Un équilibre permanent entre contrôle et lâcher-prise, où le corps doit inventer ses marques et trouver d’autres repères.

Face à face

Sur scène, la relation entre un homme qui danse et son piano est annoncée sans ambages : il est figuré par une corde. Ancrage, résistance, dépendance… Le symbole est fort. Entravé au pied, dans un périmètre restreint, l’artiste évolue autour de l’instrument, auquel il est attaché. Gracieux malgré la bride qui le retient, rapide, fiévreux, Pedro Hurtado parvient d’entrée de jeu à nous entraîner dans son univers de paradoxes, d’aspirations et de rêves. Il installe une tension immédiate, généreux dans ce rythme haletant qui le laisse peu respirer.

Le mouvement, contraint mais exalté, probablement épuisant, dessine un face à face troublant avec l’instrument, fixe, lourd, noir. Un corps à corps. Cette corde qu’il faut dompter les relie mais les éloigne, comme tout et son contraire, en amants terribles. Ni avec toi ni sans toi. Chacun trimballe l’autre, le piano roulant d’un bout à l’autre du plateau. Qui traîne qui ? Deux partenaires semblent aussi se défier et s’attirer, solidement enchaînés.

Mise à nu

Cette pièce chantée-dansée est riche d’images et de sensations. Comment ne pas ressentir la solitude du pianiste concertiste ? Ses obsessions ? Un petit piano jouet d’enfant en couronne, ou plaqué sur le visage, ou encore serré contre la poitrine, montre à quel point ces 88 touches ne sont pas seulement porteuses de tous les possibles et garanties d’horizon, comme pour Novecento (Alessandro Barrico). Elles peuvent se révéler envahissantes, dévoreuses d’espace et d’énergie. L’interprète ne cherche-t-il à bâillonner son instrument ? À le ficeler pour le faire taire ? Il l’encercle, l’enserre de la corde, puis le désosse petit à petit, mettant les cordes à nu, révélant ses entrailles de géant. Le déparant. Magnifique !

Après la première des Scènes d’enfant, de Schumann et son caractère si paisible, après nous avoir enchantés, notamment, avec un Couperin endiablé et le merveilleux Trio opus 100 de Schubert (Allegro con moto), la posture de l’artiste a changé. Torse nu, et dos au public, l’interprète est voûté, mais il joue encore. Quelle image ! Nous imaginons une fatigue, la lassitude des concerts. Le tableau est émouvant.

Nous redoutions cette corde, planant comme une menace, évoquant pour nous l’issue fatale dansée notamment par Rudolf Noureev et Nicolas Leriche, dans un ballet de légende (le Jeune Homme et la Mort, de Roland Petit). Cette corde au cou dont le dessin apparaît, du reste, furtivement sur le piano. Mais Hervé Maigret et son interprète ont ménagé leur suspens et proposé une autre sortie. Une belle surprise.

Florence Douroux


Site de la cie NGC 25
Avec : Pedro Hurtado
Collaboration artistique : Emilia Benitez
Durée : 50 minutes
Dès 7 ans

Théâtre du Train Bleu40, rue Paul Saïn • 84000 Avignon
Du 6 au 24 juillet (les jours pairs) à 17 h 10
Durée : 50 min
Dès 7 ans
De 14 € à 20 €
Réservations : en ligne

Dans le cadre du Festival Off Avignon, 59e édition du 5 au 26 juillet 2025
Plus d’infos ici

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Photos : © Ernest S. Mandap

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