Insaisissable Don Juan
Par Trina Mounier
Les Trois Coups
Dans la petite salle de l’espace 44, nous n’étions malheureusement qu’une poignée pour assister à ce « Don Juan (raconté par lui-même) », un texte passionnant de Peter Handke, revisité par une Françoise Maimone au mieux de sa forme, avec un comédien époustouflant : Stéphane Naigeon.
Elle se fait rare Françoise Maimone depuis qu’elle a quitté la direction de l’Astrée, et c’est fort dommage. Il en est de même de l’excellent et trop discret Stéphane Naigeon… Mettez-leur dans les mains un texte intelligent, complexe, inattendu, et ce qu’ils en font est à la hauteur de l’enjeu et de ce héros mythique. Décentré de son époque et de ses attaches géographiques, si différent de celui qu’ont rendu célèbre Tirso de Molina, Molière ou Mozart, ce Don Juan est d’abord et au bout de la lecture de Handke un mystère fasciné par l’étranger, l’inconnu.
Le narrateur nous prévient dès l’entrée : il ne fait que rapporter des propos qui lui ont été tenus par Don Juan lui-même, lassé semble-t-il des images déformées qui circulent à son sujet. Ce n’est bizarrement pas Sganarelle qui le présente, mais un étranger, quelqu’un qui ne le connaît pas, un aubergiste croisé sur la route. Ce dépositaire respectueux et objectif explique que Don Juan a choisi de parler de lui-même à la troisième personne, ce qui trouble encore les lignes et donne au texte une profondeur, une distance, une sorte de brume, alors que ces paroles sont censées le doter de contours précis.
Don Juan parcourt l’Europe en infatigable voyageur. Il s’attarde à nous le raconter. L’une des surprises que recèle ce texte est l’importance qu’il accorde aux descriptions des paysages et qui témoigne de l’amour de la nature qui l’anime. Comme les monts et les vaux qu’il traverse, il prend son temps, celui d’une véritable promenade poétique.
Stéphane Naigeon exact
Stéphane Naigeon, habillé d’une redingote noire, ce qui le situe dans un « avant » très approximatif, savoure les phrases et les mots, les imprégnant d’une grande suavité. Sa gestuelle est juste, discrète, élégante, rappelant en cela des époques révolues. Face à lui, Gérard Maimone joue une de ses œuvres au piano : c’est beau, délicat, fluide et surtout remarquablement adapté au texte et à toutes les incertitudes qui en sont la marque. C’est lui encore qui a composé la musique du chant interprété par la soprano Stéphanie Moralès, visiblement peu habituée à ajuster sa voix à des espaces aussi exigus. Sa prestation s’en ressent, et c’est la seule « fausse note » de ce spectacle qui n’en compte aucune autre. C’est fort dommage, car elle incarne évidemment toutes les femmes après lesquelles court Don Juan, lui qui s’enthousiasme pour celle qu’il ne connaît pas encore. Sans doute la cantatrice prononce-t-elle à travers son chant des phrases de Peter Handke, mais, peut-être également parce qu’elles sont en italien pour la plupart, elles restent incompréhensibles.
Françoise Maimone a de façon conséquente réduit et surtout recentré le texte sur le personnage principal. Le spectacle y gagne en rythme et l’ensemble est très bien équilibré. On sort de cette toute petite heure de représentation ravi d’avoir entendu aussi parfaitement un texte exigeant et énigmatique mais diablement intelligent ! ¶
Trina Mounier
Don Juan (raconté par lui-même), extrait du texte de Peter Handke
Mise en espace : Françoise Maimone
Jeu : Stéphane Naigeon
Piano et composition musicale : Gérard Maimone
Chant : Stéphanie Moralès
Photo : © Gilles Aguilar
Production : Cie Françoise‑Maimone, Théâtre de la Commune-C.D.N. d’Aubervilliers
Espace 44 • 44, rue Burdeau • 69001 Lyon
04 78 39 79 71
Du 22 au 27 mars 2016, les mardi 22, vendredi 25, samedi 26 mars à 20 h 30, mercredi 23, jeudi 24 mars à 19 h 30, dimanche 27 mars à 17 h 30
Durée : 1 h 15
De 15 € à 18 €