Une parole qui pique, donc
Par Vincent Cambier
Les Trois Coups
Récemment, le Théâtre de l’Éphémère de la région des Pays de la Loire présentait au Théâtre des Halles à Avignon « Donc », de Jean‑Yves Picq, auteur en colère et néanmoins directeur du conservatoire d’art dramatique d’Avignon. La partition était jouée avec vivacité par quatre virtuoses du verbe : Didier Lastère, Patrick Michaëlis, Jean‑Pierre Niobé et Jean‑Louis Raynaud. Une bien belle soirée, cruelle, drôle et jouissive.
Trois personnages pépères piquent-niquent. Ils discutent à coups de lieux communs et de tautologies. Ils jacassent ainsi jusqu’à ce qu’ils aperçoivent, près d’eux, un quatrième congénère. Qui ne se mêle pas à la conversation et qui se tait. Alors, comme disait Raymond Devos : « Quand tout le monde parle et qu’il y en a un qui se tait, on n’entend plus que lui ! ». Nos compères bla-blatent donc de plus belle, mais cette fois-ci pour provoquer l’autre, le pousser à les rejoindre dans leurs discutailleries. S’il n’obtempère pas à cet injonction déguisée, il deviendra vite un « monstre » pour les autres…
Jean‑Yves Picq a compris, lui, que le théâtre n’est pas, ne doit pas être la même chose que la littérature. Ici, les mots sont ordinaires, familiers, triviaux. Les phrases sont décorsetées, voire mal élevées. Ici, surtout, le texte ne prend son sexe qu’avec les cordes vocales, les gestes, les corps des comédiens. Et, dans ce domaine, avec le Théâtre de l’Éphémère, on est à la fête.
Car Didier Lastère, Patrick Michaëlis, Jean‑Pierre Niobé et Jean‑Louis Raynaud nous offrent un festival de gourmandise dramatique. Ils écorcent en premier la coquille phonique de la prose picquienne. Puis ils en mâchent le fruit et le roulent en bouche, le goûtent comme des taste-vin. Ils pressent ensuite les raisins textuels pour en extraire toute leur pulpe, tout leur jus. Ils les distillent enfin jusqu’à leur essence. Celle qui rudoie, qui cogne, qui rosse. Celle qui balance un coup de couteau dans notre médiocrité, qui lacère le lard de notre imbécillité, qui dégraisse notre haine de l’autre. Car Jean‑Yves Picq plante avec précision ses poignards, qui pénètrent profondément la couenne de notre paresse de cœur, de notre pleutrerie d’âme.
La mise en scène, les lumières (Pascal Batard), les costumes même (Anne Pitard) sont efficaces, car ils se consacrent à l’essentiel : la peinture en couleurs de l’œuvre, enluminée millimètre par millimètre par le minutieux pinceau vocal et corporel des comédiens. ¶
Vincent Cambier
Donc, de Jean‑Yves Picq
Texte édité aux éditions Color gang sous le titre Petites pièces à géométrie variable
Théâtre de l’Éphémère, scène conventionnée pour les écritures théâtrales contemporaines • 8, place des Jacobins • 72000 Le Mans
02 43 43 89 89
http://www.theatre-ephemere.fr/
Conception et réalisation : Didier Lastère et Jean‑Louis Raynaud
Avec : Didier Lastère, Patrick Michaëlis, Jean‑Pierre Niobé et Jean‑Louis Raynaud
Lumières : Pascal Batard
Costumes : Anne Pitard
Photo : © Alain Szczuczynski
Théâtre des Halles, salle du Chapitre • rue du Roi‑René • 84000 Avignon
Réservations : 04 32 76 24 51
Entrée administrative : 4, rue Noël‑Biret • 84000 Avignon
04 90 85 52 57
http://www.theatredeshalles.com/index.php
Vendredi 18 décembre 2009 et samedi 19 décembre 2009 à 20 h 30
17 € | 14 € | 11 €