Écrire en grand !
Par Laura Plas
Les Trois Coups
Lyrique parfois, porté par une vraie troupe et un beau travail d’écriture et de mise en scène, « Écrire sa vie » soulève d’abord, telle une vague, puis, dans ses flux et ses reflux, traduit l’écriture de Virginia Woolf. Ouvrez les oreilles, les yeux, laissez-vous éblouir et troubler !
J’écris depuis une joie et une colère. Colère d’avoir vu encore une fois le public du festival In aussi peu généreux dans sa réception, aussi pressé de s’enfuir une fois la représentation achevée. Consommateurs bougons de culture. Mâchoires serrées, yeux chassieux aveugles à cette nuit d’été où le vent a pourtant caressé nos joues, le ciel s’est peu à peu piqué d’étoiles, dans le si beau Cloître des Carmes. Pour cela simplement, il aurait pu apprendre la ferveur, même si la représentation, elle-même, n’avait pas été une célébration.
Norah, George, Tristan et les autres
Car si j’écris d’une joie, c’est qu’Écrire sa vie est selon moi un spectacle solaire et intelligent, qui éblouit, avant de troubler dans un second temps. Ce soir, c’est fête. Apportez du vin, celui des noces et des festins, Jacob va revenir. Avec lui, ils seront au complet : Norah, Tristan, David, Judith, George. Et alors les portes d’Elvedon, le royaume magnifique de l’enfance et de l’imaginaire s’ouvriront.
La beauté s’est assise à la table du banquet. Dans le ciel nocturne, des points rouges se sont mis à danser au vent. Un rien suffit à Pauline Bayle et Fanny Laplane pour transfigurer l’espace. Dans ce vert paradis de l’enfance, vous êtes généreusement conviés, vous les spectateurs, inclus par le dispositif scénographique, autant que par l’accueil et les adresses des comédiens.
La lumière…
Leur beauté, leur jeunesse, leur fougue irradient comme des soleils. Ils courent, dansent, frappent le sol, comme pour en faire surgir des sources. Ils lancent dans l’air des mots qui sont papillons. Or, parfois ces mots expriment tant de poésie qu’on ne peut les saisir au vol. Sitôt apparus, déjà ils s’abolissent, pour laisser place à d’autres, faisant pressentir que la beauté est éphémère.
Le montage de textes proposé par Pauline Bayle n’échoue pas à rendre l’écriture de Virginia Woolf ! Au contraire, elle la fait entendre, au-delà des poncifs dont on ne cesse de nous rabattre les oreilles. Et si Virginia Woolf n’était pas que l’écrivaine de l’intime, la peintre des effondrements intérieurs ?
Les comédiens parviennent à faire croire à cette bande d’amis pleins de souvenirs d’école, de projets d’avenir et de dissensions. Fougueux, mais nostalgiques déjà. Le travail de distribution des textes et la qualité du jeu font que l’on distingue en même temps chacune des figures : la folâtre George comme la timide Norah, par exemple.
Pour que la jeunesse fréquente un festival comme celui d’Avignon, on ne dira jamais à quel point il est nécessaire qu’elle puisse se reconnaître dans ceux qui l’incarnent. Et c’est une des réussites de cette représentation conciliant tradition théâtrale et modernité dans ses formes. Par ailleurs, aucun comédien n’écrase les autres de sa présence. On admire une vraie troupe capable d’aller jusqu’à un travail choral ou encore de déconstruire les personnages qui ont pris corps sous nos yeux pendant plus d’une heure.
Le cadavre, les vagues
Car Pauline Bayle prend bien le risque de nous bousculer, comme la guerre bouscule les personnages. Le moment de bascule (que l’on n’évoquera pas en détail pour en conserver la déflagration) nous fait verser dans la vie adulte. À moins que, depuis le début, tout n’ait été qu’un rêve ou la tentative désespérée d’endiguer le temps et la mort ? Difficile de trancher.
En tout cas, fini de chanter ! Jacob a emporté avec lui la lumière. Le plateau se dépouille et se glace d’une lumière blanche. Ils vont travailler, tous ceux-là, faire des vies pleines de petites défaites. Après le royaume, l’exil ! Déjà à l’orée de la pièce, on nous parlait de guerre, de responsabilité et de censure… Le sérieux gagne peu à peu, même si George et Judith y résistent et que Tristan oppose à l’assemblée son droit à ne jurer que par Shakespeare.
En définitive, Pauline Bayle ne cesse de faire entendre la complexité des choses : au cœur du bonheur, il y a un cadavre qui pourrit dans un pommier. Elle fait aussi percevoir flux et reflux des vies et des voix. Et quand la mer des mots, notes et images se sera retirée, dans nos yeux entrouverts, des petites vagues seront restées. 🔴
Laura Plas
Écrire sa vie, de Pauline Bayle
D’après l’œuvre de Virginia Woolf
Adaptation et mise en scène : Pauline Bayle
Avec : Hélène Chevallier, Guillaume Compiano, Viktoria Kozlova, Loïc Renard, Jenna Thiam, Charlotte Van Bervesselès
Scénographie : Pauline Bayle, Fanny Laplane
Costumes : Pétronille Salomé
Lumières : Claire Gondrexon
Musique : Julien Lemonnier
Son : Olivier Renet
Durée : 2 heures
Dès 15 ans
Cloître des Carmes • Place des Carmes • 84000 Avignon
Du 8 au 16 juillet 2023 (sauf le 11), à 22 heures
De 10 € à 30 €
Réservations : 04 90 14 14 14 ou en ligne
Dans le cadre du Festival d’Avignon, du 5 au 25 juillet 2023
Plus d’infos ici
Tournée ici :
• Du 26 septembre au 21 octobre, Théâtre Public de Montreuil-CDN (93)
• Du 20 au 21 novembre, Le parvis-Scène Nationale de Tarbes (65)
• Les 8 et 9 décembre, Chateauvallon Liberté-Scène Nationale, à Toulon (83)
• Les 14 et 15 décembre, TCC Théâtre Châtillon Clamart (92)
• Du 13 au 16 février 2024, Théâtre Dijon Bourgogne-CDN (21)
• Du 5 au 8 mars, Théâtre de La Croix Rousse, à Lyon (69004)
À découvrir sur Les Trois Coups :
☛ Iliade-Odyssée, de Pauline Bayle, par Laura Plas
☛ Illusions perdues, de Pauline Bayle, par Laura Plas