« Cyrano » de Michalik : comédie héroïque
Par Cédric Enjalbert
Les Trois Coups
Après « le Porteur d’histoire » et « le Cercle des illusionnistes », Alexis Michalik monte un nouveau spectacle à succès : « Edmond », d’après la vie de Rostand, auteur d’une pièce phare du répertoire français.
Alexis Michalik poursuit pièce après pièce une obsession : découvrir la formule secrète de l’illusion, ce merveilleux ressort du théâtre, du cinéma et de la magie, ce qui fait tout simplement qu’on y croit. L’a‑t‑il trouvée avec Edmond, qu’il monte au Théâtre du Palais-Royal, en hommage à Cyrano et à son auteur ? Il démontre en tout cas quelle joie procurent les bonimenteurs, jolis cœurs amateurs de bons vers, « rimeurs, bretteurs, musiciens et voyageurs aériens » !
Selon une méthode éprouvée dans le Porteur d’histoire et le Cercle des illusionnistes, il convoque une douzaine de comédiens et deux fois plus de personnages, une histoire bien ficelée et sans temps morts, un décor et des costumes opulents, qui renouent avec la gaieté d’un théâtre généreux, auquel Edmond rend hommage. Désuet ? C’est aussi ce qui a été dit du jeune Rostand qui, à 29 ans, écrit encore en vers à une époque où cette sophistication classique est passée de mode. Néanmoins, une artiste lui fait confiance, pas la moindre : l’immense Sarah Bernhardt (interprétée avec l’emphase qui sied aux stars par Valérie Vogt). Elle incarne en 1895 la Princesse lointaine au Théâtre de la Renaissance – une autre pièce de Rostand et un succès d’estime – et elle chérit « son » poète, si bien qu’elle joue les entremetteuses. Rostand rencontre, grâce à elle, Constant Coquelin, directeur du Théâtre de la Porte-Saint‑Martin, qui lui commande une comédie. Rostand lui promet une pièce, dont il n’a pourtant pas écrit une ligne.
Et que le spectacle commence ! Il retrace la folle succession d’improvisations géniales et de rencontres fortuites qui enfantent l’une des plus fameuses pièces du répertoire français, et l’une des plus jouées. Du travail au plateau, avec les comédiens, de la spontanéité et de l’urgence plutôt que le génie d’un auteur à sa table, au sommet de sa tour d’ivoire : voilà le secret.
En montant ses spectacles, Alexis Michalik applique les mêmes règles. Avec la joie du conteur, il déroule toute l’histoire dans un mouvement perpétuel qui ne s’achève qu’avec les applaudissements du public. En attendant, comme une toile de cinéma, le décor change continûment, tout un ballet s’active pour ôter des accessoires, en ajouter d’autres, créant des atmosphères en un clin d’œil, porté par un véritable esprit de troupe, à l’ancienne.
Dans le rôle d’Edmond Rostand, Guillaume Sentou se distingue, campant un auteur fébrile, à l’air bonhomme, rêveur, poète pas si sûr de son talent, pris dans une aventure qui le dépasse. Son comparse, l’acteur Leonidas Volny (alias Kevin Garnichat) incarne son double inversé : grand, beau, sûr de lui et pas franchement poète, voire franchement prosaïque. Le duo a des airs de Christian et de Cyrano. Pierre Forest interprète ce dernier. Ou plutôt, il compose le tonitruant Constant Coquelin, un acteur qui crée donc le rôle de Cyrano, avec une faconde épatante : un acteur jouant l’acteur qui joue le rôle. Vous suivez ? Alexis Michalik est passé maître dans l’art des mises en abyme, qui procurent à la simplicité apparente de ses trames narratives une dimension abyssale. Il se plaît à brouiller les frontières, si bien que les applaudissements qui saluent finalement la création de Cyrano de Bergerac, lorsque la représentation d’Edmond s’achève, comptent double : ce sont à la fois ceux du public de 2016, mais aussi ceux d’un public qui joue au public de 1897. Bref, le spectateur est lui-même pris dans ce théâtre dans le théâtre. Effet garanti dans l’intimité du Palais-Royal, sous ces dorures et dans ces velours qui donnent un cadre idéalement suranné au spectacle.
D’ailleurs, entre ces murs a été créé le Dindon de Feydeau, contemporain du Cyrano de Rostand. Le dramaturge fait des apparitions dans la pièce, ainsi que l’autre Georges, Courteline, tous deux auteurs à succès, participant d’un vaste panorama de l’âge or du théâtre parisien… pourtant déjà sur la sellette, tant plane l’ombre du cinéma – un troisième Georges, Méliès, pointe son nez – qui signe bientôt la fin des spectacles herculéens. Alexis Michalik n’a pas la forfanterie du Gascon, mais il convoque néanmoins douze acteurs sur scène et des moyens sensationnels dans un théâtre privé, pour une pièce écrite de sa main, prenant ainsi un véritable risque, sans tête d’affiche. La réussite d’Edmond n’en est que plus héroïque. ¶
Cédric Enjalbert
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Edmond, d’Alexis Michalik
Mise en scène : Alexis Michalik
Avec : Pierre Bénézit, Christine Bonnard, Stéphanie Caillol, Pierre Forest, Kevin Garnichat, Nicolas Lumbreras, Jean‑Michel Martial, Anna Mihalcea, Christian Mulot, Guillaume Sentou, Régis Vallée, Valérie Vogt
Scénographie : Juliette Azzopardi
Lumières : Arnaud Jung
Costumes : Marion Rebmann
Musique : Romain Trouillet
Assistante : Aida Asgharzadeh
Combat : François Rostain
Photo d’Alexis Michalik : © Chloé Bonnard
Théâtre du Palais‑Royal • 38, rue de Montpensier • 75001 Paris
Réservations : 01 42 97 40 00
Du 16 septembre 2016 au 31 janvier 2017, du mardi au samedi à 21 heures et le dimanche à 16 h 30
Durée : 1 h 50
Une réponse
Pour ma part je n’ai pas du voir la même pièce. J’ai eu l’impression d’un spectacle brouillon, souvent mal joué, et dont les ressorts comiques éculés ne fonctionnent pas. Si c’est là le meilleure spectacle de l’année, c’est à désespérer du théâtre. Les seuls moments de grace : les scènes de Cyrano reprises dans cette absurdité.