« Il faut être armé pour s’attaquer au Lac des cygnes »
Par Maxime Grandgeorge
Les Trois Coups
Pour son grand retour au ballet narratif, le chorégraphe français Angelin Preljocaj s’attaque au plus célèbre des ballets romantiques : Le Lac des cygnes. Il transforme le conte original en une fable écologique qui nous met en garde contre l’exploitation des ressources naturelles, tout en créant un dialogue fertile avec les chorégraphes qui ont fait la réputation du Lac.
Qu’est-ce qui vous a motivé à adapter aujourd’hui ce monument de la danse qu’est « Le Lac des cygnes » ? Pourquoi avoir attendu plus de 30 ans ?
Je crois que, pour s’attaquer à ce monstre, il faut être armé. Jusqu’à présent, je ne me sentais peut-être pas dans cette disposition. Quand j’ai vu Le Lac des cygnes pour la première fois, j’étais un tout jeune danseur de 12 ou 13 ans, ça a été un choc. Quand j’ai découvert ensuite la danse contemporaine, au début des années 1980, j’ai repoussé des quatre fers Le Lac des cygnes parce que ça correspondait à tout ce qu’il ne fallait pas faire à l’époque en danse. Mais ce qui est passionnant, c’est de revenir aujourd’hui à cette œuvre en me nourrissant de mon expérience de la danse contemporaine.
Que reste-t-il du traditionnel « ballet blanc » dans votre version ? Quel rapport entretenez-vous avec ce genre canonique ?
Je trouvais intéressant de concevoir cette création comme un palimpseste (une œuvre dont l’état présent peut laisser supposer et apparaître des traces de versions antérieures). Je sais qu’il y a eu des Lac des cygnes avant le mien – feindre de les ignorer serait un peu dommage. J’ai donc instauré une sorte d’aller-retour sous forme de clins d’œil avec les versions précédentes, notamment la version originale de Marius Petitpa. À la manière des peintres revisitant un thème pictural ancien – comme Cézanne et Picasso avec le Déjeuner sur l’herbe de Manet –, j’ai voulu instaurer un dialogue avec les chorégraphies du Lac des cygnes qui m’ont précédé et en proposer une version adaptée aux préoccupations d’aujourd’hui.
Quelles sont ces préoccupations et que voulez-vous raconter à travers ce Lac ?
Mon Lac des cygnes est une sorte de fable écologique. L’assèchement des lacs et la disparition de centaines d’espèces de mammifères sont préoccupants. Nos enfants et petits-enfants sauront-ils encore ce qu’est un cygne demain ? Dans ma version, le sorcier Rothbart revêt le costume d’un magnat de l’industrie véreux qui veut exploiter les ressources naturelles du lac – une attitude qui, dans la réalité, pourrait conduire à la catastrophe écologique. Il faut savoir quels sont les vrais trésors de notre planète pour les préserver car c’est l’avenir de l’humanité qui est en jeu.
Qu’avez-vous conservé de l’œuvre originale ?
J’ai gardé du conte original toute la partie fantastique, magique et mystérieuse. L’eau du lac, au-delà de son aspect purement physique et naturel, possède ici plusieurs fonctions. Elle incarne la fluidité et la sensualité. Dans une dimension presque psychanalytique, elle peut également être ramenée à l’idée de liquide amniotique. Dans mon Lac des cygnes, le jeune prince Siegfried a un attachement très particulier à sa mère, qui justifie d’ailleurs qu’il soit fasciné par cette femme à moitié cygne, plutôt que par une femme « normale ».
La bande-son du spectacle mélange extraits de la partition de Tchaïkovski et ajouts musicaux. Pourquoi ce choix ?
J’avais besoin d’autres éléments que ce qu’il y avait dans la musique du Lac des cygnes pour construire ma dramaturgie, notamment des extraits de symphonies de Tchaïkovski. J’ai utilisé des musiques du duo 79D, avec qui je collabore souvent, dont l’atmosphère plus actuelle et industrielle apporte un contrepoint à la musique extrêmement romantique et sensuelle de Tchaïkovski. C’est une musique qu’il faut manipuler avec précaution, comme de la nitroglycérine. Ce qui est intéressant, c’est ce qu’on décide d’en faire : ou bien on propose quelque chose de redondant avec la musique, ou bien on prend le contrepied. J’ai voulu jouer avec ces différentes références et instaurer un nouveau dialogue avec la musique originale. ¶
Propos recueillis par Maxime Grandgeorge
Le Lac des cygnes, Angelin Preljocaj
Chorégraphie : Angelin Preljocaj
Musique : Tchaïkovski et 79D
Costumes : Igor Chapurin
Vidéo : Boris Labbé
Lumières : Éric Soyer
Avec le Ballet Preljocaj
Photo : © Jean-Claude Carbonne (spectacle) / Didier Philispart (portrait)
Chaillot – Théâtre national de la Danse • 1, place du Trocadéro • 75116 Paris
Du 10 au 26 juin 2021
Durée : 1h50
De 8 € à 43 €
Renseignements : 01 53 65 30 00
Réservations en ligne ici
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