Entretien avec Jean Bellorini, directeur du Théâtre national populaire à Villeurbanne

Jean Bellorini © Michel Cavalca

« Faire du théâtre un lieu de vie joyeux et ouvert »

Par Trina Mounier
Les Trois Coups

Depuis le 1er janvier 2020, Jean Bellorini est, à 39 ans, directeur du Théâtre national populaire (T.N.P.). Cet homme discret et enthousiaste, amoureux de la langue et de la poésie, entend insuffler un esprit d’ouverture dans la grande maison de Villeurbanne.

Vous quittez le théâtre Gérard-Philipe, Centre dramatique national de Seine-Saint-Denis, que vous dirigiez depuis six ans. Avec quel pincement au cœur l’avez-vous quitté ?

Jean Bellorini : Avec un énorme pincement au cœur. C’est un lieu que j’aime profondément, intimement. J’y ai tout appris, avec une équipe à laquelle je suis très lié et dans des murs qui sont chargés d’âme. Ce n’est pas si fréquent à Paris. Le T.N.P., je vais devoir l’habiter et faire en sorte que nous nous ressemblions. Ce que j’ai tenté de faire en Seine-Saint-Denis, en ménageant un grand écart permanent entre les artistes venus du monde entier et les plus proches, c’est une définition du théâtre national populaire. Peut-être est-ce la raison pour laquelle j’ai postulé à Villeurbanne. Je vais non pas arriver avec un projet tout ficelé, mais plutôt tenter d’être à la hauteur, sans déformer ni nier l’héritage de Firmin Gémier, de Roger Planchon, de Jean Vilar et, plus près de nous, de Georges Lavaudant – qui sera des nôtres pour fêter le centenaire du T.N.P.

Quelles sont les grandes lignes de votre projet ?

J. B. : Je voudrais d’abord développer l’éducation artistique. Que les jeunes de la Troupe Éphémère travaillent dans les mêmes conditions d’exigence, avec les mêmes possibilités, que les acteurs d’une de mes créations.

Parlez-nous de cette Troupe Éphémère.

J. B. : C’est une idée qui m’est chère et que j’ai d’abord fait vivre en Seine-Saint-Denis. Cette troupe permanente, constituée de jeunes entre 13 et 20 ans, se renouvelle chaque année – on peut postuler au maximum deux années de suite. Cette fois, le recrutement est ouvert aux jeunes de Villeurbanne et de l’agglomération. Il intervient avant toute formation professionnelle, à ce moment où l’homme grandit et devient acteur de lui-même, durant cette adolescence que j’aime plus que tout.

Le théâtre a une véritable fonction civique, il donne tout son sens à l’idée de service public. Je crois qu’aujourd’hui l’école du spectateur ne suffit plus. Il faut ces chocs de quelques secondes qui marquent pour toute la vie, qu’on vit dans la solitude et l’intimité, même s’ils sont partagés avec 500 spectateurs autour de soi. C’est pourquoi ces jeunes acteurs doivent côtoyer les metteurs en scène reconnus comme Krystian Lupa, Lev Dodine, Ariane Mnouchkine… J’ai la conviction qu’une manière de s’approprier le théâtre, c’est de le pratiquer, d’éprouver cette découverte véritablement fondatrice : en se mettant à nu, on devient vraiment soi-même. Cette année, le calendrier va être un peu bousculé car je voudrais que le centenaire s’ouvre avec eux qui représentent l’avenir.

Comment se déroulera la célébration du centenaire du théâtre ?

J. B.: C’est un projet que je mène avec Christian Schiaretti. Je ne peux pas tout dévoiler, mais la Troupe Éphémère en sera l’élément central et ceux qui ont fait le T.N.P. seront là.

Quelles seront vos prochaines créations ?

J. B.: Je vais créer Tartuffe en italien, à Naples. Je parle couramment la langue et je fais beaucoup de musique, j’aime diriger à l’oreille. On conserve la rime en italien. J’aime profondément cette pièce mais je n’ai jamais osé monter Molière… Puis, cet été, je monterai un spectacle dans la Cour d’honneur du Palais des papes, à Avignon. J’ai passé une commande d’écriture à Valère Novarina autour du mythe d’Orphée, d’après une variation de Monteverdi. Avec la troupe professionnelle qui est déjà dans les murs, nous proposerons les « Mardis du T.N.P. ». Cette année, on y verra Onéguine d’Alexandre Pouchkine, les années suivantes Un instant, Rabelais, et au fur et à mesure, tout le répertoire. Le spectateur pourra venir sans savoir exactement ce à quoi il va assister, juste une œuvre littéraire. Je voudrais aussi qu’on programme ces spectacles dans les maisons de quartier, dans les mêmes conditions que sur le grand plateau. Les Mardis rythmeront la vie du théâtre, en rappelant la présence de la troupe. Enfin, la prochaine saison sera aussi marquée par la Biennale de la Danse.

Jean Bellorini © Michel Cavalca
Jean Bellorini © Michel Cavalca

Allez-vous nouer des collaborations avec des institutions, des artistes, des écoles de théâtre ?

J. B.: J’ai déjà commencé à rencontrer longuement tous ceux qui travaillent au T.N.P. Je suis frappé par l’amour qu’ils portent à cette maison. Je me suis rendu aux théâtre des Clochards Célestes. J’ai envie de travailler avec le festival Sens Interdits et Les Nuits de Fourvière. J’ai beaucoup d’humilité, il en faut pour diriger un tel théâtre. Je voudrais multiplier les possibles, éviter les habitudes, peut-être présenter davantage de créations pour le jeune public, notamment pour le très jeune public, lui offrir ces spectacles magnifiques qui seront, pour eux, des souvenirs de première fois.

Comment se renouveler sans se répéter, maintenir un grand écart permanent ? Je m’appuierai sur les artistes associés, notamment Joël Pommerat, que les Lyonnais connaissent bien, et Thiphaine Raffier, une jeune artiste très singulière. Parmi les artistes invités, il y aura Ariane Mnouchkine, Macha Makeïeff, la metteuse en scène suisse Lilo Baur, Margaux Eskenazi qui, avec sa compagnie Nova, fait découvrir les auteurs de la négritude, le chorégraphe Thierry Thieû Niang, la violoncelliste Sonia Wieder-Atherton, mais aussi l’écrivain Frédéric Boyer et l’illustrateur Serge Bloch, le père de Max et Lili entre autres… Enfin j’attends beaucoup d’André Markowicz qui animera des ateliers. Je voudrais que le T.N.P. soit non pas une forteresse mais un lieu de vie joyeux et ouvert. Je m’y emploierai ! 

Propos recueillis par Trina Mounier


Théâtre national populaire • 8, place Lazare-Goujon • 69100 Villeurbanne

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Un instant de Jean Bellorini, par Trina Mounier

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