Entretien avec Marc Lainé, directeur de la Comédie de Valence

Marc-Lainé-Comédie-de-Valence © Pascale Cholette

La Comédie de Valence fait feu de tout bois

Par Trina Mounier
Les Trois Coups

Nommé à la tête de la Comédie de Valence au 1er janvier dernier, Marc Lainé n’a guère eu l’occasion de rencontrer le public valentinois, d’autant que la saison en cours avait déjà été préparée par Richard Brunel. Nous l’avons interrogé sur l’impact de cette crise sanitaire sur les activités du centre dramatique national Drôme-Ardèche.

Habituellement, à cette période, vous bouclez la saison prochaine. Où en êtes-vous ?

2021 sera une saison un peu particulière pour la Comédie de Valence. Elle devait initialement se dérouler hors les murs jusqu’au printemps pour cause de travaux. Ce que nous vivons contredit fortement toutes nos prévisions et les travaux risquent de prendre du retard. Cette incertitude va peser sur l’établissement de la nouvelle saison : notre programmation est évidemment liée à la réouverture de notre grande salle. Si celle-ci se décale, nous ne pourrons pas présenter un certain nombre de projets. Par ailleurs, il y a l’inquiétude que certaines équipes qui devaient créer pour les festivals d’été ne soient plus en mesure de le faire et ne puissent pas présenter leurs spectacles la saison prochaine.

Comédie-de-Valence-CDN-Drôme-Ardèche © DR
© DR

Cette crise a donc des conséquences immédiates, mais en aura aussi à moyen terme et sans doute sur toute l’activité de la maison. Conséquences qu’il nous faudra absorber sur plusieurs années si l’État ne peut pas nous aider. Je ne veux néanmoins pas noircir le tableau. Ce que révèle aussi cette crise, je crois, c’est la conscience, chez tous les partenaires, de notre interdépendance et donc de nos responsabilités réciproques. Nos maisons de créations peuvent et doivent prendre leur part pour supporter le choc. Et il existe chez tous les directeurs d’institution avec qui j’ai pu échanger, une solidarité très forte qui s’est exprimée dès le 13 mars : nous nous efforçons de tenir nos engagements auprès des compagnies, des artistes et des techniciens. Mais cette crise aura néanmoins des répliques, au moins jusqu’à la fin de saison prochaine.

Dans ces conditions, difficile aussi de garder le contact avec les spectateurs. Comment va s’effectuer la rencontre, vous qui entamez un nouveau mandat ?

Je devais rencontrer le public à l’occasion de la présentation de la Chambre désaccordée, programmée en avril par l’équipe de direction précédente. Comme beaucoup d’autres, ce spectacle a été annulé. Mais il m’a paru important que, malgré cette crise, nous puissions aller à la rencontre des Valentinois. Aussi, le projet « Notre grande évasion » que nous avons lancé via les réseaux sociaux est une manière, pour moi comme pour les artistes du nouvel Ensemble pluridisciplinaire, d’échanger et de partager des œuvres avec le public avant la saison prochaine.

S’échapper

via des propositions artistiques,

partager l’art

permet d’ouvrir des perspectives.

Remettons-nous dans le contexte du tsunami du vendredi 13 mars 2020. Dès le lundi suivant, toute l’équipe avait l’intuition que le confinement allait être décrété. On a donc paré au plus pressé : faire en sorte d’honorer les contrats vis-à-vis des compagnies et du personnel intermittent ou de reporter les spectacles qui pouvaient l’être. Mais ensuite, au moment de nous quitter, un vertige nous a tous saisis. Nous savions que nous n’allions pas nous revoir avant longtemps et que nous allions devoir réinventer, dans le cadre du confinement, des méthodes de travail. Mais ce qui allait être à l’arrêt surtout, c’était le cœur de notre mission, ce qui donne un sens à notre engagement à tous : la création.

Ça nous semblait impossible. Même « bricolée » avec les moyens du bord, il fallait maintenir une activité de création. J’ai donc proposé à l’Ensemble pluridisciplinaire d’inventer des propositions artistiques, participatives ou plus personnelles, pensées spécifiquement dans ce contexte inédit du confinement. Dès le mercredi ces propositions existaient et je les ai regroupées sous ce titre : « Notre grande évasion ». Ce titre résonne pour moi à la fois comme un défi face à la situation et comme une invitation lancée aux spectateurs. Dans cette période terrible, s’échapper via des propositions artistiques, partager l’art, permet d’ouvrir des perspectives.

Ensemble-pluridisciplinaire © Comédie de Valence

Pouvez-vous préciser en quoi consiste cette « Grande évasion » ?

Elle permet au fond d’affirmer d’ores et déjà deux grands axes du projet qu’on porte à la Comédie de Valence : la transdisciplinarité et la dimension participative. « Notre grande évasion » préfigure en quelque sorte les O.V.N.I. (Objets Valentinois Non Identifiés), qui sont des projets participatifs que nous mettrons en place à partir de la saison prochaine. Ces O.V.N.I. seront des créations partagées, qui se déploieront dans tous les champs disciplinaires et qui donneront naissance à des œuvres aussi essentielles et abouties que nos spectacles.

Pour en revenir à « Notre grande évasion », voici quelques-unes des premières propositions. Je précise que tous les artistes sont bénévoles.

L’Échappée intérieure est un atelier d’écriture participatif initié avec Tünde Deak, autrice et metteuse en scène. Il s’agit de créer une grande chaîne littéraire. Cette chaîne durera toute la durée du confinement. Chaque jour, nous recevons un nouveau texte qui prolonge le texte publié la veille, à la manière d’un cadavre exquis. Les contributions passionnantes et très contrastées que l’on a déjà reçues composent un long voyage onirique. Ce voyage mental, débuté il y a plus de deux semaines avec un premier texte que j’avais écrit, se poursuit chaque jour dans des directions insoupçonnées. Les auteurs et les autrices ont 24 heures pour écrire leur texte. Il y a une forme d’urgence, mais qui est joyeuse et inspirante. Tout le monde peut participer, absolument tous les publics, et cette diversité est enthousiasmante.

Carnet-de-voyage-immobile © Stephan-Zimmerli
« Carnet d’un voyage immobile », de Stephan Zimmerli © Stephan Zimmerli

Pour Carnet d’un voyage immobile, Stephan Zimmerli demande par Skype à un participant de lui décrire son lieu idéal. Puis, en dialogue avec cette personne, guidé par elle, il filme sa main dessinant en direct ce lieu idéal, grâce à un petit dispositif de tournage improvisé dans sa cuisine. Quant à Silvia Costa, confinée près de Venise, elle reprend un projet en cours et transforme en dessins, en poèmes, les pensées, impressions, sentiments que chacun peut lui confier par mail. Avec la crise, le projet est devenu Je suis dedans. Être ce qui est fermé dans le trait, une sorte de carnet de bord de quarantaine publié chaque nuit.

D’autres projets existent encore, celui de Marie-Sophie Ferdane qui lit les souvenirs d’actrice de Bulle Ogier réunis dans J’ai oublié (Seuil, Prix Médicis 2019), ou celui de Bertrand Belin qui a entamé une aventure personnelle sous forme de performances sonores et pince-sans-rire, comme il sait si bien faire : Le Carnet de bord de quarantaine. Penda Diouf, confinée à Aubervilliers, propose un carnet intime de lectures philosophiques et politiques qui permettent d’interroger le drame que nous vivons aujourd’hui, de réfléchir au Jour d’après, de nous fournir les armes intellectuelles nécessaires pour affronter cette « guerre », qui ne se passe pas forcément aux endroits où on le suppose. Et d’autres propositions vont arriver, notamment chorégraphiques.

Pourquoi êtes-vous si attachés à la transdisciplinarité ?

Je fais partie d’une génération qui a eu à revendiquer de fabriquer, d’inventer, des spectacles de théâtre en croisant notre art avec d’autres disciplines. La génération suivante, celle de Julien Gosselin par exemple, pratique « naturellement » cette forme de création hybride. Aujourd’hui, il me paraît essentiel qu’un lieu de création puisse témoigner de ce courant artistique contemporain.

J’aimerais que la Comédie de Valence devienne un des lieux de création transdisciplinaire les plus dynamiques et les plus inventifs de France. Pas seulement en réunissant les artistes des champs disciplinaires liés au spectacle vivant, mais en l’étendant véritablement à l’ensemble des disciplines. Artistiques bien sûr (littérature, musique, cinéma, arts plastiques…), mais aussi, scientifiques, ou pourquoi pas sportives… Cette hybridation peut, je crois, nous permettre d’inventer de nouvelles formes de théâtre et de nouvelles histoires qui résonnent avec notre époque, qui font écho à la complexité passionnante de notre monde contemporain. 

Propos recueillis par
Trina Mounier


Notre grande évasion

Comédie de Valence – Centre dramatique national Drôme-Ardèche • 1, place Charles-Huguenel • 26000 Valence

Tel. : 04 75 78 41 70 • FacebookInstagram

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