« Espejo », d’Agathe Surcouf, Laurette Théâtre à Paris

« Espejo »

Défense et illustration du syndrome de Stockholm

Par Vincent Morch
Les Trois Coups

Être attaché à quelqu’un. Expression banale, anodine, employée souvent comme un euphémisme. Et l’on glisse à la surface des mots sans en percevoir la violence. Quoi de mieux, alors, qu’une chaîne réelle pour la rendre sensible ? Idée simple, limpide, admirablement exploitée par la compagnie des Bouches-Cousues. « Espejo » est un véritable bijou.

Au début, elle ne sait rien de lui, mais il sait tout sur elle. Prostrée, les yeux rougis par les larmes, elle subit en silence ces mots où se mêlent à la fois des menaces à peine voilées et des intentions rassurantes. Il est fou sans doute, probablement pervers : il veut l’apprivoiser en la tenant enchaînée. Il l’aime, il a peur de la perdre. Elle finira bien par l’aimer à son tour…

Il parle beaucoup, il monologue sur son amour pour elle, il invente même des souvenirs de vacances. Mais il ne veut rien dire sur lui, sur sa vie, son histoire. Il ne veut pas même lui révéler son prénom. Et, lorsque Elsa lui lâche les premiers mots moins durs, lui concède les premières caresses, il la rejette avec force : elle cherche à le manipuler pour obtenir sa liberté. Il n’est pas si naïf !

Chaque scène va donc marquer une étape dans l’évolution de leur relation, illustrant la lente transformation qui mène de l’attachement au délitement des liens, et inversement. Elsa, qui rejette d’abord ce garçon qui la torture dans son âme et dans son corps, finit par lui trouver de l’attrait. Quant à Adam – ainsi prétend-il se nommer –, s’il désire qu’Elsa lui soit attachée, il a beaucoup de mal à supporter l’idée d’y avoir réussi. Y a-t-il réussi d’ailleurs ? Nous ne le saurons pas vraiment.

Entre la haine et l’amour

Ce va-et-vient perpétuel et indécidable entre la haine et l’amour, l’attraction et la répulsion, doit s’appuyer pour être crédible sur une interprétation de grande qualité. À cet égard, la voix chaude et profonde de Yoli Fuller exerce une grande séduction, tout en rendant d’autant plus saisissantes la cruauté et la complexité de son personnage. La sensibilité et l’énergie d’Aude Charles-Lavauzelle lui permettent quant à elle d’exprimer avec force un vaste spectre d’émotions. Tous deux jouent leur rôle avec conviction, engagement, sans filet. Pour preuve, ces gifles magistrales, et tout ce qu’il y a de plus réelles, qu’assène Yoli à Aude. Et le courage qu’a cette dernière de se montrer quasi nue sur scène.

J’ai été par ailleurs très sensible au fait de les entendre parler sans emphase, sans jamais avoir l’impression que « c’était écrit ». Mais il faut souligner que la justesse de leur ton se nourrit de la justesse du texte et de la pertinence de la mise en scène d’Agathe Surcouf. Chacun a déjà probablement vécu beaucoup de situations de ce couple censé être atypique. Mais leur mise en scène avec le simple accessoire de la chaîne les fait résonner de manière radicalement différente. Ce léger décalage par rapport au réel suffit pour les rendre tour à tour monstrueuses, surréalistes ou désopilantes – parfois tout cela en même temps –, sans jamais pour autant que la pièce ne perde de son intensité dramatique. Je tiens à le souligner, Espejo est une pièce où l’humour tient une place importante, un humour plutôt sombre et cynique mais très efficace, qui sait aussi, en quelques occasions, se faire plus léger.

Le spectateur parvient donc à s’identifier avec ce couple étrange, à voir en lui des échos de sa propre expérience. Et il traverse avec lui toute une série d’émotions, de l’angoisse sur le sort d’Elsa à la compassion pour les tourments d’Adam, en passant par des moments de paix paradoxale et de rire. Espejo est bien plus qu’une bonne pièce, c’est une pièce prometteuse, qui révèle des talents qui piquent la curiosité et qui donnent envie de les suivre. La petite compagnie des Bouches-Cousues mérite que l’on parle d’elle, et je gage que ce sera le cas. 

Vincent Morch


Espejo, d’Agathe Surcouf

Compagnie des Bouches-Cousues

Texte et mise en scène : Agathe Surcouf

Assistante mise en scène et visuels : Alix Marnat

Avec : Yoli Fuller, Aude Charles-Lavauzelle

Chef de plateau : Aurélia Kieffer

Chorégraphe : Léna Tiran

Le Laurette Théâtre • 36, rue Bichat • 75010 Paris

Réservations : 01 42 08 83 33

Du 9 au 31 janvier 2009, vendredis soir à 21 h 30, samedis à 17 h 30. Prolongations les mercredis 11, 18 et 25 février 2009 à 21 h 30

Durée : 1 h 40

15 € | 10 €

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