En toute verticalité
Dans un rayon lumineux, un homme seul en haut d’un mur scrute les alentours. Vision éphémère d’une silhouette évanescente, qui disparaît dans l’obscurité. L’ambiance est au mystère, enveloppée d’une musique sombre qui plonge le spectateur dans l’expectative. Car dès lors, nous voulons savoir : cette chute silencieuse, c’est quoi ? Et pourquoi ? Ce clair-obscur, que dit-il ? La compagnie Hors Surface est entrée dans le vif du sujet dès cette première image. Solitude, hauteur, regards, chute. Point d’interrogation.
Depuis près de 15 ans, la compagnie de cirque toulonnaise, dirigée par Damien Droin, développe des scénographies autour d’univers imaginaires. Elle offre au spectateur la vision de sols mouvants, de promontoires perchés et instables, évoquant le hors-sol, et le « hors-norme », notion qu’elle revendique volontiers.
Pendant ses études au CNAC, Damien Droin tend une toile de 60 m2 conçue avec un filet de pêche, un trampoline qu’il appelle « Acronet ». Cet agrès évolue par la suite dans chaque spectacle de la compagnie : en suspension ; avec un funambule ; avec une échelle placée au centre. Chutes, rebonds, marches verticales : le mouvement dans toute sa fragilité.
Mouvement continu
Considéré à l’origine comme une discipline à la croisée du cirque et des sports extrêmes, le trampo-mur offre la possibilité d’acrobaties aériennes spectaculaires. L’acrobate saute, rebondit et marche sur le mur. Pour ne citer qu’eux, les Québécois Catwall Acrobats en ont fait un prodigieux numéro, il y a une dizaine d’années, tandis que Yoann Bourgeois a donné à l’agrès une grâce majestueuse, d’ailleurs, pour l’ouverture de la Scala. On s’en souvient encore.
Dans Face aux murs, deux trampolines sont disposés de part et d’autre d’une paroi en plexiglas. Damien Droin et sa compagnie ont relevé le pari d’un spectacle entier autour de ce dispositif. Pendant près d’une heure, il offre au spectateur une longue suite fondue-enchaînée, ou presque, de chutes et de rebonds. Un mouvement vertical quasi-continu, exécuté avec virtuosité par cinq hommes et une femme, qui semblent sauter et rebondir comme ils respirent. Il y a une aisance dans cette acrobatie, une légèreté, qui font rêver. Il devient naturel de plonger dans le vide pour revenir au sommet. Ces chutes hors-sol, atterrissages en hauteur, sont fascinantes.
Paysage onirique
La scénographie invite au voyage. Fumée et lumières en faisceaux nous embarquent vers un ailleurs onirique, dans lequel volent des corps d’acrobates, s’évanouissant sous la brume, ou surgissant dans un saut, au-dessus d’une nappe de brouillard. Apparitions, disparitions, mur à effet miroir, la chorégraphie, très sophistiquée, devient bal mystérieux, ombres et lumières, jeux d’illusions et de cache-cache. Le spectateur est attiré dans une autre dimension, un espace flottant non identifié. Le graphisme tient le public dans une apnée imperturbable, tandis qu’un homme marche vers une lumière éblouissante, ou qu’une main tendue surgit de l’obscurité.
Le dispositif, mobile, est actionné par les artistes. Le mur apparaît frontalement ou de profil, les trampolines glissent sur le plateau. Tout est mouvance. L’espace est en permanence redessiné, redécoupé, figurant un kaléidoscope d’images et d’angles de vue différents. Autant d’impressions qui défilent et saisissent le spectateur, immergé dans cette bulle à effets multiples. Les enchaînements à six des sauts et rebonds de part et d’autre du mur parviennent à donner à la verticalité une impression circulaire. Une roue, une fluidité, un mouvement roi.
La beauté du geste
Dans cette fiction acrobatique de haut vol, affleurent bien des thèmes : la réunion et la désunion, l’instabilité et l’équilibre, la distance et le rapprochement. Soi, l’autre. Nos freins : « Faits de brique, de pierre, de béton, de bois, de barbelés, de silences (…), ils peuvent être sonores, mentaux, silencieux, religieux, culturels, des murs de pudeur et de lamentation. Des murs d’incompréhension », explique la compagnie. Les murs sont donc l’argument du spectacle. Ici, il devient lieu de rencontre. Mais quelle que soit l’intention du propos, la force de frappe n’est pas dramaturgique.
Elle provient de la vision de ces propulsions de corps qui semblent échapper à toute gravité et évoluer en apesanteur. Élan vital, force, poésie, liberté, là est convoquée l’émotion. C’est d’ailleurs le début du spectacle. La seule femme du groupe va de l’un à l’autre, chacun prostré dans l’immobilisme, pour réveiller un mouvement, en bousculant l’inertie, comme s’il fallait un sortilège pour les voir tous émerger d’une torpeur engluée. D’un seul souffle, deux corps projetés dans les airs, parfaitement synchronisés, sautent et rebondissent dans d’exubérants saltos et vols planés. Tout réside dans cette beauté du geste, sa force vivante et expressive.
Florence Douroux
Face aux murs, de Damien Droin
Cie Hors Surface
Conception, mise en scène, scénographie : Damien Droin
Avec : Tristan Etienne, Maël Thierry, Hugo Couturier ou Damien Droin, Louise Aussibal ou Hélène Leblanc, Aris Colangelo ou Diogo Farias Dos Santos, Carl Rom Colthoff
Durée : 1 h
Dès 7 ans
La Scala Paris • 13, bd de Strasbourg • 75010 Paris
Du 6 au 30 mars 2025, du mardi au samedi à 19 heures, le dimanche à 15 heures
Tarifs : de 17 € à 48 €
Réservations : billetterie en ligne • Tel. : 01 40 03 44 30
Tournée ici :
• Du 5 au 27 juillet 2025, La Scala Provence, dans le cadre du Festival Off d’Avignon
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☛ L’Esquive, de Gaëtan Lévêque, par Léna Martinelli
Photos : © Camille Laverde
