Le cirque sans cesse réinventé
Léna Martinelli
Les Trois Coups
Hybrides, métissés, ouverts, les arts du cirque n’ont jamais été aussi créatifs. N’ayant que faire des frontières des disciplines, les circassiens ne cessent d’innover, arpentent de nouveaux territoires. Inventer des agrès contribue également à ce dynamisme. Les spectacles vus dans le cadre de Circa 2025 en témoignent. Coup de projecteur sur quatre d’entre eux : « Thaumazein », « X », « Aspirator » et « Frames ». Pour compléter le reportage, compte rendu de la restitution, par le Centre national des arts du cirque (CNAC), d’un exercice pédagogique attendu, « Écritures croisées », et d’une rencontre organisée par Territoires de Cirque sur le cirque durable.
Dans le cirque contemporain, l’invention d’agrès est centrale car elle fait évoluer les pratiques. Ainsi, Mathurin Bolze s’est-il fait connaître avec ses scénographies spectaculaires. Ses acrobaties en cascades naissent de dispositifs ingénieux, comme dans Immaqaa. Grâce à son imposante armature métallique, le trampoliniste Damien Droin et ses acolytes de la Cie Hors Surface réalisent aussi des exploits dans Face aux murs. À Circa, Jonathan Guichard est de ces artistes qui conçoivent leurs propres engins, afin de répondre à ses « envies d’état de corps particuliers ». Après le fil et la planche de bois courbe de 3D, il imagine une toupie géante pour Thaumazein. Avec Lauren Bolze, il y évolue comme il peut, c’est-à-dire plutôt penché. Les rencontres n’apparaissent-elles pas parfois dans des circonstances hasardeuses ? Malgré les aléas, voire l’instabilité, comment s’apprivoiser et nouer une relation équilibrée (lire la critique) ?
Penchés, perchés
En quête de sensations fortes, les innovations dans la conception des agrès inspirent surtout des histoires. À moins que ce soit le thème qui réclame des adaptations, tel l’effondrement amenant les interprètes de la cie La Tournoyante à évoluer sur un plateau incliné mobile pour Collapsing Land. À Circa, Nicolas Fraiseau adapte également un support traditionnel afin de servir son propos : reconstitué en plusieurs morceaux, doté de branches stylisées, le mât chinois enflammé d’Ignis symbolise nos forêts incendiées, l’arbre totem au sommet duquel l’horizon paraît bien sombre (lire la critique).



« Ignis » © Collectif Sismique ; « Thaumazein » © Ian Grandjean ; « » © Vincent Beaume
D’emblée, « » intrigue. Ce « sans-titre » est-il un clin d’œil à l’art contemporain ? La cie L’Immédiat prônerait-elle un retour à la sobriété ? En tout cas, investissant le Dôme jusque dans ses hauteurs, réquisitionnant toutes les échelles du festival et mobilisant les forces vives, Camille Boitel et Sève Bernard bousculent les repères, non sans décharge d’énergie pure. Un peu beaucoup perchés ces deux-là (lire la critique) !
Aspirés, inspirés ?
Avec ses trapèzes réinventés, Mélissa Von Vépy nous a toujours surpris. Dans Piano Rubato, elle a conçu (avec Neil Price) un piano bateau fascinant, dont elle était une inoubliable figure de proue. Dans Aspirator, l’acrobate revisite la forme du conte en se saisissant d’un objet trivial. Pourquoi pas ? Personnage à part entière, métaphore de la transformation de l’inerte en vivant, l’aspirateur devient agrès original, à la lisière du théâtre d’objet. Pour sa première œuvre jeune public, une proposition déconcertante (lire la critique).


« Aspirator » © Julie Mouton ; « Frames » © Bart Grietens
Après Johann Le Guillerm, un des premiers à avoir ouvert les arts du cirque à d’autres disciplines, Underclouds Cie ou la Cie Barks, également férues d’installations et d’expériences, créent leurs structures de toutes pièces. Il en découle des images singulières et des prouesses étonnantes. Quant à Alexander Vantournhout, à nouveau programmé à Circa, il détourne en agrès insolites des objets muséaux (fenêtres, cadres et socle). Comment garder l’équilibre dans et hors du cadre ? Bien que pas décalé, à l’instar des précédents spectacles évoqués, Frames déplace malgré tout le regard et offre de bien originales perspectives (lire la critique).
« Cnacattitude »
Sortir du cadre imposé, c’est généralement aussi le vœu des jeunes. Toutes les générations veulent se démarquer. La 38e promotion du CNAC ne déroge pas à la règle. Ces étudiants nous embarquent dans leur cheminement personnel, sans oublier de nous épater de leur virtuosité naissante dans leurs disciplines respectives (équilibres, mât chinois, portés, acrobatie, roue Cyr, fil, sangles). À la célébration du mouvement, s’ajoutent réflexions vertigineuses, saillies humoristiques et rap jubilatoire. On a apprécié l’autodérision de ces jeunes qui se posent les bonnes questions sur la prise de risque, le sens de leurs activités, l’acceptation de leur vulnérabilité. On aura plaisir à les retrouver, à suivre l’évolution de leur « cnacattitude », entre crises existentielles, doutes artistiques, révélations et audaces.

© CNAC 2025
Avec le projet Écritures croisées, il s’agit d’ouvrir les 3e année à un autre champ artistique. Cette année, place au documentaire. Les 40 ans de l’école fournissent l’occasion de revenir sur toutes ces années, grâce à la vidéo : visite décalée du lieu, depuis les salles d’entraînement jusqu’au centre de documentation, en passant par le bureau de la directrice, Peggy Donck ; sujet traité en profondeur en dépit d’un historique déballé en quelques minutes top chrono. Plusieurs figures sont interviewées, jamais de façon classique. L’Association du Vide relève le challenge d’une création collective qui valorise de belles personnalités. On retrouve le goût pour l’écriture et les archives d’Anna Tauber, son appétence pour la sociologie, ainsi que l’approche atypique de Fragan Gehlker, lui-même issu de la 21e promotion du CNAC.
Le cirque se met au vert
Le cirque s’engage aussi dans la transition écologique. Coordonnés par Territoires de Cirque, 9 pôles nationaux cirque ont réalisé un bilan carbone collectif. La rencontre Réduire l’empreinte carbone du cirque : quelles actions pour transformer nos pratiques ? a livré d’intéressants résultats, invitant à échanger sur ce référentiel, les initiatives en cours et les pistes afin d’aller plus loin. Derrière ces démarches impulsées par le Ministère de la Culture, une motivation : transformer les activités pour les rendre moins dépendantes des énergies fossiles et plus compatibles avec les enjeux climat. Il y avait de quoi s’inspirer des bonnes pratiques et repartir avec le plein d’idées.

© Territoires de Cirque
Car nous devons déjà quitter Auch, bien que cette 38e édition du festival batte son plein. Les podcasts Mathieu Dochtermann, Du cirque à l’oreille donnent une idée de l’ambiance du festival. Discours, témoignages du public, applaudissements, explications d’artistes, cris de joie des amateurs… Les épisodes en ligne ont été conçus comme des billets d’humeur quotidiens. C’est très réussi, enlevé et documenté.
Le cirque se met donc au vert et Circa aux podcasts. Cirque durable et traces sonores vont de pair. De quoi « garder la tête haute », comme invitait à le faire Stéphanie Bulteau, directrice de Circa, dans son édito, sous les chapiteaux et dans les salles de spectacle de Auch. Au plus près des étoiles, sous le ciel du Gers.
Léna Martinelli
Écritures croisées, Fragan Gehlker et Anna Tauber, 38e promotion du CNAC
Site de l’Association du Vide
Site du CNAC
Avec : Alma Hourriez (corde lisse), Andrea Monterosso (trapèze fixe), Aourell Zawadzka (collectif bascule), Enora Tournier (collectif bascule), Francesco Cravero (jonglerie), Hippolyte Zuber (acro-danse), Luc Gohin (acro-danse), Maeva Steudler (cerceau aérien), Mathéo Supiot (collectif bascule), Mathys De Chantilly (collectif bascule), Msgun Gezmu Iran (roue Cyr), Omri Etzioni (collectif bascule), Toon De Coninck (collectif bascule)
Durée : 1 heure
Tout public
Chapiteau Endoumingue • 32000 Auch
Les 18 et 19 octobre 2025
Circa 2025, festival du cirque actuel
38e édition, du 17 au 25 octobre 2025
Site du festival
Circa, pôle national Cirque Auch • Allée des Arts • 32000 Auch
Programmation complète ici
À découvrir sur Les Trois Coups :
☛ Circa 2025, annonce par Léna Martinelli
Photo de une : © Ian Grandjean


