Être gros ne signifie pas toujours être lourd
Par Jean-François Picaut
Les Trois Coups
Dans certains milieux, les big bands n’ont pas bonne presse. Ils joueraient une musique dépassée. Pire, le nombre des exécutants signifierait lourdeur et approximation. Jean‑Paul Boutellier, convaincu du contraire depuis toujours, a entrepris d’infliger un démenti à tous ces préjugés avec la soirée big bands qu’il a programmée pour cette édition.
Mardi 5 juillet 2011
Amazing Keystone Big Band
Le groupe qui ouvre la soirée brille d’abord par sa jeunesse : environ vingt‑cinq ans de moyenne d’âge. Mais, bardés de diplômes et de médailles obtenus en France où à l’étranger, ils illustrent à la perfection l’adage selon lequel « la valeur n’attend pas le nombre des années ».
À voir son nom, vous croiriez volontiers que ce big band vient d’outre-Atlantique. Détrompez-vous. Au départ se trouve un groupe de trois amis de la région lyonnaise. Quant à leur nom, il est lié à leurs débuts dans un club de Lyon, La Clef de voûte, qui se traduit par keystone en anglais, comme vous le savez peut-être. Une amie, facétieuse ou visionnaire, a ensuite ajouté « amazing », et le tour était joué.
Fred Nardin (piano), Jon Boutellier (saxophone ténor) et Bastien Ballaz (trombone) constituent le trio de base à qui l’on doit tous les arrangements, originaux. Les thèmes sont donc anciens, mais la musique est résolument d’aujourd’hui. Ces dix‑sept jeunes gens savent manifestement ce que swing veut dire et le prouvent.
Ce soir, sans trembler, ils avaient convié Rhoda Scott (orgue Hammond) et Michel Hausser (vibraphone). Les aînés étaient manifestement ravis de se trouver dans une compagnie aussi juvénile dont Michel Hausser s’est plu à souligner le grand talent et la générosité. Amazing Keystone Big Band avait aussi invité la jeune chanteuse franco-haïtienne Cécile McLorin-Salvant, lauréate du Concours international Thélonious-Monk en 2010. En quelques chansons dont le superbe I Was Born to Be Blues, la jeune femme nous a donné un aperçu de sa voix aux graves profonds et aux aigus aériens. De quoi donner envie de venir l’écouter plus longuement le dimanche 10 août au Théâtre Antique à 19 h 30. Du côté du big band, on saluera plus spécialement la prestation des trois musiciens déjà nommés et les remarquables interventions de David Enhco (trompette).
Battle Royal : Basie vs Ellington
Jean-Paul Boutellier en rêvait depuis des années (voire des décennies), il l’a réalisé pour ce qui sera peut-être sa dernière année de programmation : faire revivre la fameuse session qui réunit les orchestres d’Ellington et de Basie pour la seule et unique fois, à l’occasion de First Time. C’était en juillet 1961, soit il y a cinquante ans très exactement.
Pour ce faire, il a réuni les deux orchestres qui sont les meilleurs héritiers des deux grands musiciens, en France et peut-être au-delà : le Laurent Mignard Duke Orchestra et le Michel Pastre Big Band. Nous ne nous amuserons pas à distribuer des médailles à l’un ou à l’autre de ces deux excellents groupes. Nous saluerons seulement l’effort de Laurent Mignard qui a osé une petite féminisation de son groupe avec Aurélie Tropez (saxophone et clarinette) et Julie Saury (batterie). Cette dernière disait en plaisantant qu’elle était retournée à la salle de gym en apprenant qu’elle allait être confrontée au batteur de Michel Pastre. Alors, en un petit clin d’œil, nous pouvons lui dire : « Rassurez-vous, Julie, il n’y a pas besoin de gros bras pour taper fort, à bon escient, ni faire preuve du sens de la polyrythmie ou de vélocité, vous l’avez démontré avec éclat ce soir ».
Le programme comportait donc les titres qui figurent dans First Time et d’autres qui n’avaient pas pu y trouver place. Laurent Mignard avait eu l’idée d’y adjoindre Fickle Fling, un inédit d’Ellington, et les deux orchestres ont donné Perdido (1960) en rappel. La « bataille » n’a pas eu lieu, mais, seuls ou ensemble, les deux groupes ont illustré avec beaucoup de conviction et de brio l’étendue du talent des deux compositeurs, des classiques du xxe siècle désormais, que sont Ellington et Basie. On saluera la performance de Patrick Bacqueville (trombone), auteur d’un remarquable (et drôle) duo en scat avec Marc Thomas, qui, par ailleurs, présentait la soirée. À voir l’enthousiasme du public à l’issue des deux concerts, une conclusion s’impose : vous avez gagné votre pari, M. Boutellier. ¶
Jean-François Picaut
Festival Jazz à Vienne (38), 31e édition
Du 29 juin au 11 juillet 2011
Festival Jazz à Vienne • 21, rue des Célestes • 38200 Vienne
Tél. +33 (0)4 74 78 87 87
Renseignements : www.jazzavienne.com
Billetterie : billetterie@jazzavienne.com
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Photos : © Jean‑François Picaut