Un Feydeau encore un peu jeune
Par Élisabeth Hennebert
Les Trois Coups
Cinq énergiques débutants montent au feu armés de leur seul enthousiasme : un résultat incomplet mais prometteur.
C’est émouvant comme une sortie de couveuse. Voici des camarades frais émoulus du cours Florent qui se débattent avec deux célèbres pantalonnades de Feydeau sur la toute petite scène du Théâtre Montmartre-Galabru, format bien adapté à un spectacle léger et court vêtu (silhouette irréprochable de Justine Lossa : c’est beau la jeunesse !). Le choix de l’auteur est habile, car il est très indulgent, ce bon vieux Georges, et sa malice convient bien aux équipes qui n’ont pas totalement fini de rôder leur professionnalisme. Le texte est croustifondant et prête à rire quoi qu’on lui fasse subir.
La seule chose qui puisse tuer un vaudeville, au fond, c’est la mollesse ou le défaut d’engagement scénique, car la rythmique prime sur tout le reste, dans ce genre qui date d’un siècle et demi. Or d’énergie, ils n’en manquent pas, ces cinq‑là. Nous avons affaire à un assortiment de bons comédiens, et ce n’est pas seulement une question d’école (diction soignée, capacité à jouer un play‑back bien synchronisé, ensembles coordonnés avec précision). Il y a une vraie générosité dans la manière dont chacun investit son rôle.
Camille Giry et Justine Lossa, bien que très différentes l’une de l’autre, ont en commun une autorité bien mûre pour de si jeunes femmes, ce qui est nécessaire dans deux pièces dont le personnage principal est féminin et tient la dragée haute à ses interlocuteurs. Marc Maurille et Régis Lionti ont le débit requis pour incarner le rôle, récurrent chez Feydeau, du bourgeois pris au piège de ses propres mensonges et se défendant par d’intarissables giclées de baratin. Ludovic Lacroix joue avec succès sur le registre du bizarre. En un mot, il nous bouscule, ce quintette déchaîné, au sens littéral et au sens figuré, sur scène et hors scène (les spectateurs qui font la queue à l’entrée sont priés de se pousser pour laisser passer les canapés et les accessoires déménagés du théâtre juste avant et juste après le spectacle par les acteurs eux‑mêmes).
Pour passer de la start‑up à la troupe pro : encore un effort
Il faut être un doux dingue, en 2016, pour oser créer une troupe de théâtre, pour se lancer dans la mise en scène quand on n’a quasiment jamais joué, pour s’improviser entrepreneur alors que tous les copains de promo attendent que de petits rôles leur tombent du ciel. Et l’audace est toujours louable. Et sans elle, on n’apprend pas. Quel culot, tout de même, ces « Camille et Justine » (puisque c’est sous cette dénomination que les deux comédiennes signent leur mise en scène). Ce double prénom fait malheureusement davantage penser à Jo et Zette qu’à Ginger et Fred ou Pierre et Gilles ou tout autre tandem culte du monde de l’art.
Car le résultat que nous avons sous les yeux a tous les défauts de la création néophyte. On a voulu trop dire, trop montrer, trop faire. Le décor notamment est envahi d’objets, histoire de faire chambre de jeune couple contemporain. On est plus proche du foutoir de la piaule d’ado ou de la coloc estudiantine que de l’univers de Feydeau, qui est plutôt bourgeois en quête de respectabilité et donc ostensiblement ordonné, ce qui souligne le désordre des vies sentimentales en décalage avec l’intérieur propret. Et puis les séances de karaoké semblent trahir le fait qu’on a pensé d’un seul coup qu’il fallait du son… Le parti pris de donner les rôles de valet et de femme de chambre à un comédien du sexe opposé paraît remplir l’unique fonction de cocher la case « hommage au questionnement transgenre dans l’air du temps ».
Je ne souhaite pas appuyer trop longtemps là où ça fait mal, car, encore une fois, on ressort plutôt de bonne humeur de cette fiesta. Il ne leur manque pas grand-chose, à ces petits, pour passer honorablement dans la cour des grands : un bon metteur en scène, un peu plus d’assiduité aux spectacles des autres, histoire de pouvoir pomper de vraies bonnes idées, en fin de compte un petit retour dans l’incubateur. ¶
Élisabeth Hennebert
Feu la mère de Madame et Mais n’te promène donc pas toute nue ! de Georges Feydeau
Mise en scène : Camille Giry et Justine Lossa
Avec : Camille Giry, Ludovic Lacroix, Régis Lionti, Marc Maurille, Justine Lossa
Théâtre Montmartre‑Galabru • 4, rue de l’Armée‑d’Orient • 75018 Paris
Réservations : 01 42 23 15 85
Métro : Blanche (ligne 2) ou Abbesses (ligne 12)
Du 27 septembre au 25 octobre 2016, les mardis à 21 h 30
Tarifs : 20 euros et 12 euros
Durée : 1 h 30