Rencontres du troisième type !
Entre théâtre et récit poétique, François Cervantès oser encore nous offrir des rencontres du troisième type : déconcertantes parfois, époustouflantes souvent, mais en tout cas singulières.
Vous souvenez-vous du Cabaret des absents (lire notre critique) ? On y découvrait une succession merveilleuse de vignettes créées autour d’un théâtre menacé. Dans l’un d’elles, un couple de gens ordinaires, invités par un directeur de théâtre à dîner, se retrouvaient sur la scène. Et ils y étaient extraordinaires, on n’aurait voulu ne pas les laisser partir. Justement, François Cervantès a décidé de faire germer cette graine de pièce. Et voici que nous est proposé aujourd’hui Le Repas des gens. Éblouis, on y retrouve Robert et sa femme, incarnés avec maestria par Julien Cottereau et Catherine Germain.
Elle est bavarde et aime le vin ; lui est peu prolixe : classique et délicieuse opposition comique. Petits accidents, glissements de plateau, bouteille magique offrent à ce magnifique duo clownesque de multiples occasions de jeu. En outre, Stephan Pastor, leur donne la réplique en Monsieur Loyal impeccable. Et le plus beau, c’est que notre rire est tendre. En fait, pénétrant intimidés dans un théâtre, les personnages nous font redécouvrir ce lieu magique où le silence est aussi doux qu’un rideau de velours. On y brise aussi ce qui sépare, comme le quatrième mur. Il est un lieu de partage, à l’image du quartier que Robert et son épouse n’ont jamais voulu quitter.
Dérive des rêves
On se suffirait de ce duo, mais c’est bien ce mystère théâtral qui semble aimanter l’écriture et la pièce, d’où une plongée dans les dessous de la scène. Ici, une rivière coule, comme le sang dans des veines. Là, le fantôme d’une morte amoureuse peut apparaître. La cie L’Entreprise nous entraîne dans ces lieux obscurs, sans logique autre que celle du rêve, quitte à briser une forme d’unité. Il faut accueillir l’étrangeté des personnages : fantôme ou fille au langage troublé. Ce mystère est peut-être celui du langage. Acceptons d’aller à la dérive, puisqu’elle est douce et troublante.
La Table du fond et Silence, qui forment les deux premiers volets de la Trilogie de Franck, a la même audace insolite. La réception du spectacle créé en 2006 a donné envie à François Cervantès d’écrire un dernier volet : Le Soir. C’est dans la perspective de cette trilogie que le spectacle est remonté aujourd’hui.
Anna aussi bouleversante que Gena
Cette re-création est illuminée par la présence d’Anna Bouguereau, qui nous avait déjà tellement touchée l’an passé dans le Boxeur invisible (lire notre critique). Elle incarne la mère de Franck, adolescent qui a disparu du domicile parental depuis trois jours. Cette femme hagarde, morte de peur (au sens propre), se rend au collège de son fils. Le texte que lui a écrit François Cervantès est beau : entre soliloques et dialogues, il n’est soluble dans aucun réalisme. L’interprétation est à la hauteur. Avec son mascara qui fuit, son talon cassé, la mère semble sortie d’un film de Cassavetes. Anna Bougeureau nous fait songer à Gena Rowlands.
Face à elle, Stephan Pastor donne toute la mesure de son talent en jouant tous les autres personnages : au masculin et au féminin, adolescent ou vieilli. Il se transforme à vue, comme pour exhiber la force du théâtre. Trouvant davantage sa place que dans le Repas des gens, il incarne l’autre, cet autre qui sait écouter jusqu’à accepter (et à nous faire accepter l’invraisemblable). Et, pour une fois, le théâtre nous livre de beaux personnages de l’Éducation nationale. Concierge, directeur, enseignants, ils sont les gardiens un peu fatigués d’un refuge. Pas étonnant que Franck ne veuille pas quitter ces terres de littératures où François Cervantès semble nous convier à plonger à notre tour.
Roman, théâtre : les deux pièces de L’Entreprise s’apparentent à des déclarations d’amour pour ces genres. Parfois, d’ailleurs, l’écriture oscille entre les deux, quitte à nous égarer. Ainsi, on n’est pas totalement convaincu par le laborieux dialogue qui résume La Table du fond, en prologue de Silence. Mais l’amour de la littérature est aussi touchant que le personnage de Franck.
En tout cas, il y a quelque chose d’admirable dans l’obstination qu’a François Cervantès à creuser le sillon d’une écriture qui ne répond pas à ce que nous attendons. Et les chausse-trappes tendues à nos attentes, nous entraînent vers des lieux étranges et à nulle autre comparables. 🔴
Laura Plas
Le Repas des gens, de François Cervantes
Site de la compagnie
Texte et Mise en scène : François Cervantes
Avec : Julien Cottereau, Catherine Germain, Fanny Giraud, Lisa Kramarz, Stephan Pastor
Durée : 1 h 30
Dès 12 ans
Théâtre des Halles • 22, rue du Roi René• 84000 Avignon
Du 29 juin au 21 juillet 2024 (sauf les 3, 10 et 17 juillet), à 18 h 30
De 10 € à 22,60 €
Réservations : 04 32 76 24 51 et en ligne
Dans le cadre du Festival Off Avignon, du 3 au 21 juillet 2024
Plus d’infos ici
La Table du fond et Silence, de François Cervantes
Site de la compagnie
Texte et Mise en scène : François Cervantes
Avec : Anna Bougereau, Stephan Pastor
Durée : 2 h 05 (avec entracte, trajet aller compris jusqu’au lycée Mistral)
Dès 11 ans
Le 11 • Avignon • 11, boulevard Raspail • 84000 Avignon
Du 9 au 21 juillet 2024 (sauf le 15), à 18 h 45
De 10 € à 22 €
Réservations : en ligne
Dans le cadre du Festival Off Avignon, du 3 au 21 juillet 2024
Plus d’infos ici
À découvrir sur Les Trois Coups :
☛ « Carnages », de François Cervantes, par Léna Martinelli
☛ « Les Clowns », de François Cervantes, par Léna Martinelli
Photos : © Christophe Raynaud de Lage