Ils rêvaient d’un autre monde !
Laura Plas
Les Trois Coups
Rubiks’cube malin, « J’étais partie, pardon (dans un autre univers) » nous offre le pur plaisir du récit. Mais si on veut aller au-delà, rêver peut-être un autre monde, suivons les protagonistes des « Séparables », le beau et tendre texte de Fabrice Melquiot porté avec talent par la cie Chantier public.
Vous venez d’arriver à Avignon. Vous consultez la « bible » ou le site du Off. Dans les deux cas : vertige des possibles. Mais comment diable allez-vous choisir un spectacle pour toute la famille et en particulier pour l’adolescent redoutablement exigeant qui vous accompagne ? Voici deux pistes pour entrer dans le monde du théâtre et explorer cet autre monde avec lui.
Votre adolescent est fan de récits de fantaisie. Ou bien, il adore les charades, les rubik’s cube, les énigmes. Le fond ne l’intéresse pas forcément, il laisse ça aux adultes « prises de tête ». Vous pouvez l’amener voir au Théâtre du Train bleu : J’étais partie, pardon (dans un autre univers). Le titre est tout son programme. Des univers parallèles, un personnage de méchante (sorte de cousine de Cruella), une histoire qu’on n’est pas bien sûr d’avoir compris à la fin. Mais ce n’est pas grave, votre ado vous expliquera (ou inversement).
À la croisée des (mille et un) mondes
Le texte est redoutablement bien ficelé : rebonds, jeu parodique, rembobinage, bifurcations successives de l’intrigue, touches d’humour. On ne s’ennuie pas. La mise en scène est à l’encan : elle recèle de trouvailles rigolotes et ingénieuses. Il faut dire que d’un charriot bondé de bric et de broc surgissent sans cesse des accessoires qui construisent de nouveaux univers. Trois lampes de poche et un globe en papier et nous assistons à l’origine du multivers, trois autocollants et les « parallelonautes » qui nous ont embarqués changent d’identité.
D’où l’énergie des interprètes : Non contents de jouer leurs propres rôles (des comédiens qui interviennent dans une classe sur la thématique des mondes parallèles), ils incarnent aussi les élèves, la sympathique institutrice, une directrice aux mille visages. Ils se costument, ils bidouillent et ils sont très bons. On dirait qu’ils s’amusent et par conséquent ils nous amusent aussi. Joie du récit, plaisir de jouer, exaltation du théâtre comme alternative au monde : c’est déjà pas mal. Mais si on attend un peu de réflexion, il vaut mieux absorber une pastille de « parallax » et passer dans un autre monde possible : celui des Séparables, joué en ce moment au Totem.
Séparables mais incontournables
Le lieu est consacré spécifiquement au théâtre jeune public : une façon aussi d’éviter le casse-tête évoqué au début de cet article. Le choix a déjà été fait par des professionnels de ce domaine. Pas étonnant donc que Les Séparables soit un de nos coups de cœur.
Il faut dire que la pièce est signée par Fabrice Melquiot. Et qui a lu cet auteur sait qu’on peut se fier à son regard fin, à son humour accessible aux grands comme aux plus jeunes. Les Séparables a toutes les qualités : l’histoire en est accessible et fine, triste et joyeuse comme la vie. Elle a la fougue et la générosité de l’enfance.
C’est un beau roman, c’est une belle histoire d’aujourd’hui
C’est l’histoire de deux rêveurs : Romain, délaissé par des parents trop occupés à s’aimer, cavale sur son cheval blanc de bois. Sabah, sa voisine d’en face, s’imagine, quant à elle, en sioux. Mais les parents de Romain sont racistes, à ce que disent les parents de Sabah… Et ce n’est peut-être pas faux. Rien ne devait donc réunir ces mômes-là… mais c’est sans compter sur le pouvoir fédérateur de Shakira et surtout les makrouts. La maman de Saba dit qu’ils peuvent sauver le monde (ou en tout cas consoler les enfants esseulés). Et puis, de toute façon, depuis Roméo et Juliette, on sait que l’amour se moque des préjugés…
Romain apprend à prononcer « makrout ». Sabah partage sa quête et plus jamais elle ne maltraitera un copain d’école en raison de sa peau et de ses « grosses narines ». Bon ce n’est pas gagné, vu le comportement immature des adultes, mais ce n’est peut-être pas non plus totalement perdu. Il faudra attendre un peu pour des retrouvailles : onze années relatées avec gouailles et humour. La fin reste ouverte ou sujette à interprétations : c’est à la fois frustrant et très intéressant pour discuter de notre monde après la représentation.
On l’a compris, la fantaisie n’exclut pas ici la profondeur. Or, la proposition de la compagnie Chantier public est à la hauteur de l’enjeu. Côté mise en scène, on a misé, et bien joué sur la simplicité. On fait confiance au théâtre. Deux branches dans des pots illuminés et la forêt surgit sous nos yeux. Un plateau de makrouts et toute la vie d’un immeuble nous parvient : les voisins si différents, la vie de tous les jours. Même le noir nous émerveille. Nous sommes privés certes de la vue, mais tous nos autres sens sont mis en éveil par la voix qui nous saisit au début du spectacle. C’est comme si on nous prenait par la main à l’orée d’une forêt merveilleuse. Goût, odorat, toucher sont titillés tout autant que notre imaginaire. Nous aussi devenons des rêveurs.
Ce petit miracle tient aussi à la direction d’acteurs toujours juste et à l’interprétation : Simon Chaillou, Aïda Hamri sont formidables. L’œil qui frise, l’enfance chevillée au corps, ils sont crédibles, engagés, attendrissants. Circulant parfois au milieu de nous, nous racontant leur histoire, ils ont aussi l’art de nous faire imaginer les créatures fantastiques et leurs familles bien réelles : l’occasion de partager des idées sur des conceptions différentes de la pudeur, de la famille, de l’amour. C’est chaleureux, c’est fraternel, comme un rêve de pays. Une pépite.
Laura Plas
Les Séparables, de Fabrice Melquiot, cie Chantier public
Le texte est édité chez L’Arche Éditeur
Dramaturgie et mise en scène : Nathalie Dutour
Avec : Simon Chaillou, Aïda Hamri
Durée : 1 heure
Dès 8 ans
Le Totem • 20, avenue Monclar • 84000 Avignon
Du 8 au 23 juillet 2023 (sauf les 13 et 20), à 11 h 30
De 5 € à 10 €
Réservations : 04 90 85 59 55
Dans le cadre du Festival Off Avignon, 59e édition du 5 au 26 juillet 2025
Plus d’infos ici
J’étais partie, pardon (dans un autre univers), de Théophile Dubus, collectif Mind the gap
Texte et mise en scène : collectif Mind the Gap
Avec (en alternance) : Thomas Cabel, Solenn Louër, Anthony Lozano, Coline Pilet et Julia de Reyke
Durée : 55 minutes
Dès 8 ans
Théâtre du Train bleu • 40, rue Paul Saïn • 84000 Avignon
Du 5 au 22 juillet 2025 (sauf les 11 et 18), à 9 h 40
De 8 € à 15 €
Dans le cadre du Festival Off Avignon, 59e édition du 5 au 26 juillet 2025
Réservations : en ligne
Plus d’infos ici
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