Une 28e édition plus furieuse que jamais !
Par Léna Martinelli
Les Trois Coups
Du 5 au 10 juin 2017, le festival Furies a accueilli une cinquantaine de spectacles, entre cirque et théâtre de rue. Châlons-en-Champagne s’est transformé en une passionnante scène ouverte, bousculant les rythmes de ses habitants amenés à goûter au macadam. Du hors piste, parfois furieux, souvent réjouissant.
Face à l’état d’urgence et aux contraintes du plan Vigipirate, Furies oppose « une avalanche de rendez-vous » : circassiens, acteurs, danseurs, musiciens, plasticiens ont occupé les espaces publics, « le cœur de vie », car « rien ne nous fait peur ; nous devrions toutes et tous faire confiance à l’Art et à la Fête pour nous sortir de l’oppression », lit-on dans l’éditorial du programme. Son directeur Jean-Marie Songy rappelle, lui, « l’urgence permanente de se raconter des histoires, comme si nous avions besoin toujours et toujours, dans les moments les plus critiques de notre existence, de recourir à un certain partage de nos rêves et de nos sensations imaginaires, pour nous sauvegarder de la barbarie ».
Ce Châlonnais dirige Furies depuis sa fondation, en 1990. Il a commencé dans une compagnie amateur, le Théâtre du Haut Risque. Ensuite, au début des années 1980, il crée, avec Alain Escriou (un ancien des Beaux-arts de Toulouse), le collectif Turbulences. Si l’on peut y trouver des spectacles en salle, la programmation n’est jamais classique, car il s’agit surtout d’explorer de nouvelles voies de création avec des installations, performances ou propositions hybrides. Hors des sentiers battus. En 1994, il prend aussi la direction du Festival d’Aurillac, ainsi que le centre de création artistique associé, le Parapluie. Expert du hors cadre, le bonhomme est donc à la tête des festivals de rue les plus importants. Il est devenu incontournable.
Battre le pavé
C’est précisément au sein de l’espace public, lieu d’expression populaire et de mixité sociale, que Jean–Marie Songy aime interpeler les spectateurs pour les inciter à modifier le regard sur leur entourage et à résister aux dominations de toutes sortes. En effet, son esprit libertaire le porte naturellement vers des spectacles qui posent un regard critique sur notre société : fresques monumentales pensées à l’échelle de la ville (dont certaines en redessinent les frontières), pépites qui touchent en plein cœur, actions collectives déconcertantes, démonstrations de force poétiques… Bref, il aime mettre la pagaille avec des créations et des gestes artistiques qui ont du sens. La question du politique le taraude évidemment.
Pour cette 28e édition, il poursuit son œuvre, contre vents et marées. Car en 30 ans, les conditions d’exercice ont considérablement changé. L’état d’urgence contraint en effet les manifestations dans l’espace public à des décisions qui vont à l’encontre des formes artistiques libres prônées par les arts de la rue. Or, nous avons plus que jamais besoin des artistes, en mesure de recréer du lien, de façon efficace, maillons essentiel d’une société humaniste et fraternelle.
Fini l’âge d’or du théâtre de rue ? Jean–Marie Songy n’abdique pas face au climat anxiogène et sécuritaire. Toujours aussi furieux. C’est difficile d’occuper les rues et les places ? Pourtant, outre le triangle habituel et les lieux dédiés (le jardin du Jard, la place Foch et le Cirque historique), de nouveaux rendez-vous sont donnés, notamment pour investir la marge (quartiers Schmit, Verbeau, un supermarché…). Certes, il y a moins de déambulations et de surprises. Certaines propositions peuvent être adaptées, mais surtout redimensionnées ou déplacées, car on préfère bien sûr modifier les lieux plutôt que le contenu. Furies ruse. Sans abuser.
L’union fait la force
Alors, Jean–Marie Songy puise son énergie dans l’échange, les projets communs, le compagnonnage. D’abord orienté comme un « festival de premières », où les compagnies de rue trouvent un terrain d’essai, Furies s’ouvre au cirque, au début des années 2000, en liaison avec le Cnac (Centre national des arts du cirque). Se définissant comme « tête chercheuse », il laisse place à une autre génération, car « nous avons besoin de renouveler la garde », précise son directeur. Cela favorise également l’émergence d’actes artistiques expérimentaux.
En voie de devenir Pôle national Cirque (en préfiguration), Furies développe les bases d’une Saison Cirque depuis septembre 2015, quitte à faire une « acrobatie politique » pour parvenir à mettre en relation l’ensemble des institutions culturelles locales et régionales qui consacrent tout ou partie de leurs activités aux arts du cirque. Une reconnaissance bien méritée d’un travail de fond mené au cœur de la région Grand Est. Cela représente aussi l’occasion d’affirmer, encore un peu plus, l’identité de plateforme internationale.
À l’image de son directeur, la programmation est donc construite autour du théâtre de rue et de « rencontres indisciplinées d’artistes de cirque » : jongleurs urbanistes et de mots à bicyclette, acrobates bûcherons, trapéziste-réverbère… Autant de créateurs trouvant là, sur ce terrain d’expérimentation, une formidable piste d’envol.
Déferlante artistique et politique
La plupart des spectacles sont tout public, à savourer en famille. Comme tous les ans, les étudiants du Cnac se sont produits sur le parvis du cirque historique, le 7 juin, dans une création travaillée avec l’une des compagnies invitées. La carte blanche a été confiée cette année au Cirque Inextremiste. En clôture du festival, le 10 juin, une soirée spéciale a célébré les 20 ans du patronyme de Châlons-en-Champagne. La création aérienne et spectaculaire a permis à Furies de s’achever de façon grandiose et pétillante, dans le cadre du lancement du parcours touristique metamorph’eau’se.
Entre-temps, la vingtaine de compagnies invitées (de France, mais aussi d’Espagne, d’Italie et du Portugal) a proposé une cinquantaine de représentations, dont une douzaine de créations : « Ces cavalcades artistiques laisseront bien sûr une part belle à la rigolade partagée, légèrement teintée de désuétude et de révolte ! », prévient Jean-Marie Songy. Des spectacles d’envergure et des petites formes pour fraterniser dans le plaisir et par l’intelligence, car plus que jamais la coloration a été politique (lire le détail ici).
Certes, de par ses fonctions, Jean-Marie Songy a le pouvoir de changer certaines choses. « Il reste que le choix appartient à chacun d’entre nous de ne pas se laisser « abattre », de rester fier et engagé par et pour nos convictions de liberté et d’équilibre », conclue-t-il dans l’éditorial. La balle est dans notre camp, en somme ! ¶
Léna Martinelli
Furies, 28e édition
Du 5 au 10 juin 2017
Pôle national Cirque en préfiguration • Cité Tirlet • 51000 Châlons-en-Champagne
Site de Furies ici
Renseignements : 03 26 65 90 06
Tous les spectacles sont gratuits, sauf Brâme ou Tu me vois crier, Papa ? (5 €) et Souffle & Flux Tendu (de 5 € à14 €)
Photos : © Sarah Meneghello © Vincent Muteau © Augustin Le Gall © Pierre Acobas © Axelle Manfrini
À découvrir sur Les Trois Coups
Talent et tempo, par Lise Facchin