« Gagarin Way », de Gregory Burke, l’Élysée à Lyon

Gagarin Way © D.R.

Cinglant !

Par Michel Dieuaide
Les Trois Coups

La Nouvelle Fabrique de Colin Rey met en scène un violent réquisitoire non dénué d’humour sur les effets dévastateurs de l’économie mondialisée parmi les déclassés de nos sociétés européennes.

Trois hommes de générations différentes, épuisés par la précarité de leurs situations professionnelles et personnelles, sont enfermés dans le huis clos d’un entrepôt. Ils ont pris en otage quelqu’un qu’ils croient être un cadre japonais, supposé responsable de leur exploitation. Leur slogan : « la propagande par les actes ! ». L’enjeu : l’assassiner ! Mais leur envie de réussir un gros coup pour marquer les esprits, retrouver un peu de dignité et impressionner les médias va se trouver confrontée à l’imprévu…

Gagarin Way se présente donc comme une pièce classique : unité de lieu, unité de temps, unité d’action. Et ce sont les mots qui occupent toute la place avec une volonté rageuse de tout dire. Les quatre protagonistes, virtuoses du langage malgré leurs cultures différentes, libèrent sans complexe des paroles révoltées qui vont du dialogue philosophique à l’éructation la plus triviale. On assiste, secoué, à la déferlante d’une sorte d’inventaire cinglant. Tout y passe dans une furieuse mise en cause de l’existentialisme, de l’anarchisme, du sexisme, du communisme, du syndicalisme, du capitalisme, de la mémoire des luttes historiques et des résistances impuissantes. Confronté à cette tornade qui ne laisse aucun répit, le spectateur perçoit peu à peu que la conclusion risque d’être fatale. À l’intérieur de ce qui ressemble à un cimetière des idéologies, s’impose la certitude que les fossoyeurs l’emporteront sur ceux qui espèrent encore survivre dans un monde apparemment sans issue. L’humanisme le plus élémentaire semble à bout de souffle même si l’un des personnages au parcours christique fait escompter faiblement un sursaut de tolérance et de générosité.

Diatribe délétère

Gregory Burke, l’auteur, dit avoir écrit une comédie dramatique. Colin Rey, le metteur en scène, affirme vouloir s’interroger sur l’engagement et l’activisme politiques avec humour et lucidité. Exprimons le risque de penser que Gagarin Way est une diatribe délétère en forme de machine infernale destinée à faire table rase de toutes les utopies. Terrifiante proposition qui ne dépasse pas, hélas, le niveau d’un simple constat. À titre d’exemple, le spectacle s’ouvre sur une acide mise en cause de Sartre et de Genet. L’irrévérence en est salutaire, mais la critique a des relents inquisitoriaux.

Toutefois, que l’on soit chahuté ou non par le contenu et le point de vue de cette création, il faut reconnaître que sa théâtralisation est une incontestable réussite. Elle tient à la judicieuse et sobre mise en espace et à la convaincante interprétation des comédiens. Le cadre vétuste du théâtre de l’Élysée convient parfaitement à rendre crédible l’entrepôt minable dans lequel se déroule l’action. Le choix d’un rapport bifrontal au public, l’utilisation de quelques conteneurs et l’entassement de cartons suffisent pour créer l’univers dans lequel les exploités et leur otage vivent leur enfermement insupportable. James Gonin, Ivan Gouillon, Xavier Picou et Gérald Robert-Tissot, dirigés de main de maître par Colin Rey, sont remarquables. Hargneux ou désespérés, paniqués ou sûrs d’eux-mêmes, délirants ou clairvoyants, ils sont d’une intensité rare. Leurs personnages, quoique embarqués dans une tout autre voie politique et philosophique, font irrésistiblement penser aux acteurs émouvants et révoltés des meilleurs films de Ken Loach.

En dépit des réserves exprimées sur le fond, Gagarin Way vaut vraiment la peine d’être vu pour sa force théâtrale sans concession. Quitte à continuer de se demander ce que pense profondément Gregory Burke. 

Michel Dieuaide


Gagarin Way, de Gregory Burke

Traduction : Dominique Hollier

Mise en scène : Colin Rey

Avec : James Gonin, Ivan Gouillon, Xavier Picou, Gérald Robert‑Tissot

Régie générale : Thibaut Champagne

Costumes : Clara Ognibene

Chargée de production : Aurélie Maurier / Le Bureau éphémère

Diffusion : Jérôme Sonigo

L’auteur est représenté dans les pays francophones européens par Renauld & Richardson, Paris, en accord avec United Talent Agency, New York, États‑Unis

Avec le soutien de : l’Adami, la Spedidam, la ville de Lyon, du Lavoir public (69), de La Trame (42) et du Grenier des Halles (38)

L’Élysée • 14, rue Basse‑Combalot • 69007 Lyon

www.lelysee.com

Courriel : theatre@lelysee.com

Tél. 04 78 58 88 25

Représentations : du 3 au 5 et du 8 au 10 novembre 2016 à 19 h 30

Tarifs : 12 €, 10 €, 8 €

Durée : 1 h 40

À propos de l'auteur

2 réponses

  1. Contrairement à ce que vous avez écrit, l’écrivain Gregory Burke et le directeur du bureau de presse du Vatican ne sont pas la même personne. Le premier est un écossais né en 1968, l’autre un américain né en 1959.

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