Julie Brochen insuffle de la vie et même de l’humour
Par Trina Mounier
Les Trois Coups
Et voici le troisième épisode de ce « Graal Théâtre », œuvre-fleuve de Florence Delay et Jacques Roubaud qui retrace un pan de notre histoire fantasmée, celle du roi Arthur, des chevaliers de la Table ronde, et de la quête du saint Graal… Une histoire haute en couleur…
Christian Schiaretti et Julie Brochen ayant décidé de prendre en charge les épisodes à tour de rôle, c’est donc au tour de la directrice du T.N.S. de nous raconter les aventures de Gauvain, neveu préféré d’Arthur (et très aimé de Guenièvre), même si la postérité a gardé davantage de souvenirs de son souverain, de Merlin et de Lancelot… Ce qu’elle fait avec talent en nous immergeant dans un monde où le mystère règne en maître, où les décapités ramassent leur tête, où l’on peut se réveiller auprès d’une créature mi-âne mi-taureau, où les épées disparaissent pour mieux resurgir, où des barques emplies de cadavres glissent au fil de l’eau… Mais un monde imprégné de valeurs morales, où il convient de respecter un code d’honneur, d’être preux, fidèle à sa dame et à son roi.
Ce qui n’empêche pas quelques vagabondages sensuels tout à fait charmants en compagnie des dames qu’on croise et qui se révèlent toutes de joyeuses luronnes… L’amour courtois était d’abord un amour fort libertin !
Amour courtois et mystères au temps des chevaliers
C’est donc comme un joli livre d’images qu’il faut aborder ce troisième volet d’une œuvre qui en comprend dix. Une histoire qu’on feuillette et qui nous surprend à chaque pas, car elle ne se soucie ni de vraisemblance ni de psychologie, mais nous guide dans une époque oubliée et méconnue qui a fourni en abondance des héros et des aventures à notre enfance et à ses rêves.
Pour résumer (si c’est possible…), Gauvain, un très jeune homme, presque un adolescent, qui a pour caractéristiques principales de ne pouvoir résister à aucune femme, d’être téméraire et de voir chaque jour ses forces décliner avec le soleil… relève un défi lancé à son roi sans en connaître la teneur. Dès lors, il est engagé à… décapiter un chevalier inconnu (le Chevalier vert) et à accepter que ce dernier vienne lui réclamer sa tête au bout d’un an, jour pour jour… Pourquoi ? peu importe, c’est la règle d’honneur à laquelle il doit obéir. Ce que fait Gauvain, qui part ensuite vivre sa courte vie de-ci de-là, un tournoi par ici, une rencontre amoureuse par là, inconscient, sans peur, ni émotion d’aucune sorte d’ailleurs, en toute innocence.
La scénographie de Fanny Gamet et Pieter Smit transporte dans un monde onirique où tout est à la fois énorme et disproportionné : gigantesques les hauts murs des châteaux forts qui écrasent l’homme de leurs ombres imposantes ; astucieux et hors de mesure les panneaux de bois en deux dimensions qui représentent les chevaux, les tentes sur le champ de bataille, les arbres : le Moyen Âge vit en contact étroit avec la nature, les personnages ne s’étonnent pas qu’un animal leur parle ni que les forêts avancent. Tout ce décor est en perpétuel mouvement grâce à des mécanismes sophistiqués de panneaux coulissants. Il compose un univers d’ombres et de lumières propice au merveilleux.
Dans ce monde onirique, Julie Brochen a su insuffler de la vie et même de l’humour. Son Gauvain, interprété avec justesse par David Martins, est tout sauf un héros, et sa naïveté se double d’un culot innocent franchement jubilatoire. Quelques scènes sont particulièrement savoureuses, d’autres franchement incongrues, comme celle qui nous transpose dans une usine chinoise (le château des Dames et Demoiselles) où les ouvrières sont en grève pour plus de considération. Il arrive que trop de liberté vous joue des tours et lasse le spectateur, surtout quand la plaisanterie traîne en longueur. Mais l’ensemble est d’excellente tenue, très vivant, et le texte parfaitement maîtrisé par les comédiens. Et il n’est pas si fréquent de relire par épisodes illustrés les histoires chevaleresques qui forment notre culture commune… ¶
Trina Mounier
Gauvain et le Chevalier vert, de Florence Delay et Jacques Roubaud
Mise en scène : Julie Brochen avec la complicité de Christian Schiaretti
Création avec les troupes du T.N.S. * et du T.N.P. **
Avec : Muriel Inès Amat *, Laurence Besson **, Christophe Bouisse, Fred Cacheux *, Jeanne Cohendy, Julien Gauthier **, Damien Gouy **, Antoine Hamel *, Ivan Hérisson *, Xavier Legrand, David Martins *, Clément Morinière **, Cécile Péricone *, Juliette Plumecocq‑Mech, Jérôme Quintard **, Yasmina Remil **, Juliette Rizoud **, Hugues de la Salle, Julien Tiphaine **, Clémentine Verdier **
Avec la participation de Pierre Meunier
Scénographie et accessoires : Fanny Gamet, Pieter Smit
Lumières : Olivier Oudiou, assisté de César Godefroy (élève du T.N.S.-groupe 41)
Costumes : Sylvette Dequest, Thibaut Welchlin
Coiffures, maquillage : Catherine Nicolas
Son : Laurent Dureux
Masques : Ehrard Stiefel
Assistanat à la mise en scène : Hugues de la Salle
Photo : © Michel Cavalca
Production : Théâtre national de Strasbourg, Théâtre national populaire de Villeurbanne
Le décor et les costumes sont réalisés par les ateliers du T.N.S. et du T.N.P.
L’intégralité du Graal Théâtre est publiée par les éditions Gallimard, 2005
Théâtre national populaire • 8, place Lazare-Goujon • 69627 Villeurbanne cedex
Réservations : 04 78 03 30 00
– Métro : ligne A, arrêt Gratte-Ciel
– Bus : C3, arrêt Paul-Verlaine ; bus lignes 27, 69 et C26, arrêt Mairie-de-Villeurbanne
– Voiture : prendre le cours Émile-Zola jusqu’aux Gratte-Ciel, suivre la direction hôtel de ville
Par le périphérique, sortie Villeurbanne-Cusset / Gratte-Ciel
Du 14 juin au 23 juin 2013, du mardi au samedi à 20 heures, le dimanche à 16 heures
Durée : 2 heures
24 € | 18 € | 13 € | 8 €