Preljocaj, poète des corps en apesanteur
Par Maxime Grandgeorge
Les Trois Coups
Angelin Preljocaj et sa troupe de danseurs repoussent les lois de la gravité avec ce spectacle éblouissant qui magnifie la lenteur des corps. Un ballet entre classicisme et modernité à ne surtout pas manquer.
Créé en septembre 2018 dans le cadre de la Biennale de danse de Lyon, Gravité s’installe pour une quinzaine de représentations à Chaillot. Après s’être intéressé aux natures mortes et à l’inéluctable passage du temps dans Still Life, Angelin Preljocaj s’attaque à une nouvelle problématique, celle de la gravité : « depuis des années, les notions de poids, d’espace, de vitesse et de masse ont traversé de façon intuitive ma recherche chorégraphique », explique le chorégraphe. Il espère, avec ce spectacle, s’ouvrir à « de nouveaux espaces d’écritures ».
Gravité apparaît, à bien des égards, comme une méditation poétique sur l’attraction des masses entre elles. Un peu abstrait, non ? Et pourtant, à partir de ce postulat théorique, Angelin Preljocaj propose un spectacle éblouissant qui exalte les corps, comme peu savent le faire. Il explore les différents rapports à la gravité, faisant presque expérimenter à ses danseurs l’état d’apesanteur. Le ballet s’ouvre sur des corps inanimés, dont les membres engourdis s’animent peu à peu et commencent à flotter dans les airs, comme si l’attraction terrestre n’avait plus aucune emprise sur eux. Les danseurs s’envolent et atterrissent, s’épousent et se repoussent, s’animent et s’éteignent, le tout avec une technique époustouflante et un merveilleux sens de la poésie.
Éloge de la lenteur
Surprenantes de bout en bout, les chorégraphies mêlent les influences les plus variées, empruntant autant à la danse classique que moderne ou contemporaine, faisant se rencontrer le ballet aquatique, les arts martiaux et la gym acrobatique, dans une démarche syncrétique et quasi encyclopédique.
Au-delà de la gravité, c’est à la lenteur que rendent ici hommage ses chorégraphies. Dans de nombreux tableaux, les danseurs semblent évoluer hors du temps, se mouvant avec une langueur apaisante qui rappelle les œuvres du vidéaste américain Bill Viola. Cet éloge de la lenteur est néanmoins contrebalancé par quelques pièces plus dynamiques, où les corps sont entraînés dans une ivresse renversante.
Les corps et les mouvements des danseurs sont sublimés par des choix musicaux surprenants et une scénographie splendide. La musique symphonique de Jean-Sébastien Bach, Maurice Ravel, Dmitri Chostakovitch et Philip Glass côtoient en effet les expérimentations sonores d’Ianis Xenakis et les explorations électroniques de Daft Punk et 79D, sans que cela ne vienne perturber les oreilles. Les danseurs sont baignés d’un halo de lumière mystérieux dont les reflets percent l’épaisse obscurité de la salle, maintenant le public dans une rêverie en clair-obscur.
Difficile, après 1 h 20 de spectacle, de s’extirper de l’état d’hallucination dans lequel Angelin Preljocaj et ses danseurs nous ont plongés. Surtout après avoir goûté à une version délicieusement hypnotique du Boléro de Ravel – orgasme visuel et sonore garanti. Les spectateurs, encore hébétés, trouvent pourtant la force de sortir de leur torpeur et de faire une ovation à la troupe. Un triomphe très largement mérité. Les chanceux qui y étaient ne sont pas prêts d’oublier l’expérience proposée par Gravité. ¶
Maxime Grandgeorge
Gravité, d’Angelin Preljocaj
Chorégraphie : Angelin Preljocaj
Avec : Virginie Caussin, Baptiste Coissieu, Leonardo Cremaschi, Marius Delcourt, Mirea Delogu, Léa De Natale, Antoine Dubois, Véronique Giasson, Florette Jager, Laurent Le Gall, Théa Martin, Victor Martinez Cáliz, Nuriya Nagimova
Costumes : Igor Chapurin
Lumières : Éric Soyer
Assistant, adjoint à la direction artistique : Youri Aharon Van den Bosch
Assistante répétitrice : Cécile Médour
Choréologue : Dany Lévêque
Production : Ballet Preljocaj
Coproduction : Chaillot – Théâtre National de la danse / Les Théâtres de la ville de Luxembourg / Biennale de la danse de Lyon / Grand Théâtre de Provence / Scène Nationale d’Albi / Theater Freiburg
Durée : 1 h 20 environ
Théâtre de Chaillot – Théâtre national de la Danse • 1, place du Trocadéro • 75116 Paris
Du 7 au 22 février 2019, les jeudis et samedis à 19 h 45, les vendredis et mardis à 20 h 30, le dimanche 17 février à 15 h 30
Réservations : 01 53 65 30 00
De 8 € à 41 €