« Hamlet », Shakespeare, Simon Délétang, Festival d’été, Bussang

Hamlet-Shakespeare-Simon-Delétang © Jean-Louis-Fernandez

Hamlet à Bussang : le bureau vosgien des légendes

Par Laura Plas
Les Trois Coups

Grande première ! À Bussang, cet été, on verra « Hamlet. » : une pièce légendaire pour une étoile du Français, Loïc Corbery. Tiré vers le comique, ce spectacle populaire peut être aussi vu comme une histoire personnelle du théâtre et un prologue prestigieux à « Hamlet-Machine ».

Ce jour-là, c’est un petit val qui mousse. C’est un trou de verdure où chante une rivière. On y croise des amateurs de vélo (le Tour de France ne passe pas loin) et des marcheurs (bâtons prêts à battre les petites routes charmantes qui s’enroulent autour des montagnes). L’air est doux dans ce tranquille lieu de villégiature, les gens sont avenants et sans apprêts. Déjà, pour cela, l’endroit vaut le détour.

Justement , pas si loin des chemins qu’arpenta Rimbaud, Simon Delétang achève un mandat au Théâtre du Peuple de Bussang. Lui-même homme aux semelles de vent, il a parcouru les vallons et les crêtes des Vosges pour aller vers les publics, notamment avec la forme itinérante de Lenz. Par-là, il s’est inscrit dans une histoire, celle d’un théâtre populaire, dont la devise est « Par l’art, pour l’humanité ». Aujourd’hui, comme le voyageur, parvenu à la cime, contemple le chemin parcouru, il nous offre un panorama sur l’histoire du théâtre : de Shakespeare à Heiner Müller, en passant par Vitez ou la Comédie française.

Légende du théâtre et théâtre de légende

Les titres et les noms peuvent impressionner, mais on se rassurera si on sait que cette histoire du théâtre est personnelle, que sa trame est tissée par les belles rencontres du directeur. À dix-huit ans, il a d’abord un choc : la lecture d’Hamlet-Machine d’Heiner Muller comme une déflagration poétique. Puis, s’impriment sur la rétine de Simon Delétang les images de la scénographie que Yannis Kokkos réalisa pour le Hamlet de Vitez. Noir et blanc, épure donnent toute leur importance aux comédiens chez Vitez, comme dans la proposition de cet été.

Enfin, plus récemment, il rencontre un comédien dont il admire le rapport vivant aux monuments de l’histoire du théâtre : Loïc Corbery. Interprète principal d’Hamlet, ce dernier présentera aussi à la fin du mois d’août son intime « Hamlet à part ». Le metteur en scène réussit donc l’exercice périlleux de faire fructifier l’histoire vivace du Théâtre du Peuple, tout en y laissant son empreinte par un triptyque inédit : Hamlet, Hamlet-Machine, Hamlet à part.

© Jean-Louis Fernandez

Sans doute pour apprécier Hamlet à Bussang, faut-il garder cet héritage en tête. D’ailleurs, des spectateurs ne viennent que pour la légende dorée : celle d’un bâtiment classé à juste titre monument historique, celle d’une geste théâtrale, telle qu’on l’imaginerait sur une tapisserie ou un service de porcelaine. Ce sont des fervents, de fidèles bénévoles qui vous diront peut-être : « Ce serait bien qu’ils reviennent aux affiches d’avant », ou « Je me souviens… » ; ceux aussi que le spectacle inclut chaque année avec toute l’implication que cela suppose de leur part et les difficultés parfois dans la direction globale des acteurs, sans doute. C’est pour eux, surtout, qu’Hamlet, spectacle collectif et perle de répertoire, est monté cette année.

Hamlet sans impératif

Car pour Simon Delétang, l’horizon de création est bien Hamlet-Machine. D’où l’intérêt de faire l’ensemble du parcours théâtral cet été. Il s’agit dès lors de construire Hamlet pour le déconstruire, dans la pièce d’Heiner Müller, de proposer une version où déjà la figure d’Ophélie est mise en valeur – quitte, d’ailleurs, à laisser Gertrude dans l’ombre – de faire comprendre Shakespeare pour faciliter l’appréhension d’Hamlet-machine. Ainsi libéré de l’impératif du renouveau, le metteur en scène fait-il le pari d’un Shakespeare lisible et proche du spectateur. Et à voir la salle débout en fin de représentation, il le tient.

Ce souci de proximité explique peut-être une forme de désintérêt pour la question du surnaturel et d’étonnants décrochages vers le prosaïsme. Loïc Corbery en joue en particulier avec la nonchalance que lui confère sa longue fréquentation de l’œuvre. De son jeu, comme de celui de Georgia Scalliet, Ophélie brute – parfois même brutale – surgit alors le comique. C’est pourquoi, loin d’être impressionnée par le monstre Hamlet, la salle est traversée par des éclats de rire et éprouve un sentiment de connivence. D’autant que Hugues Dutrannois rend enfin à Polonius sa dimension tendrement ridicule. Et même si la direction d’acteurs n’est pas ici l’atout majeur, Anthony Poupart et Fabrice Lebert sont très, très convaincants.

© Jean-Louis Fernandez

Ce qu’on retiendra plutôt, c’est la scénographie et la mise en espace des comédiens qui tient de la chorégraphie, voire de la peinture. D’abord, d’impressionnantes trouvailles imposent l’impression d’être plutôt face à une Vanité qu’à une tragédie de la vengeance. Ensuite, les silhouettes noires magnifiées par des costumes de Marie-Frédérique Fillion se dessinent sur fond blanc. Elles évoquent à la fois de premiers spectacles de Simon Delétang et les tragédies du Mnouchkine ou les spectacles de Joseph Nadj. Seul point rouge, Ophélie est feu follet, fleur pourpre de son sang de vierge, piquée sur l’échiquier des pouvoirs masculins. Elle seule, maculée de terre et les bras chargés de fleurs, apporte la vie dans un univers purement minéral.

Enfin, si on n’est pas totalement convaincu par le jeu avec le rideau de scène, on ne pourra qu’être saisi par le dévoilement (une des figures imposées du théâtre de Bussang) du paysage / fond de scène. Le saisissant contraste entre intérieur et extérieur, nuances de verts et de terre et l’achromie du plateau fait en effet songer à l’opposition entre illusion théâtrale et cinéma, entre le monde d’Ophélie et celui mortifère des autres personnages.  L’impression que la pièce monte en puissance trouve alors sa confirmation et dans toute la deuxième partie.

L’art naît de contrainte, admettons, mais il vit aussi de libertés. C’est pourquoi on attend avec intérêt la libération d’Hamlet et de son metteur en scène dans Hamlet-Machine » : un Hamlet déchaîné ?

Laura Plas


Hamlet, de Shakespeare, par Simon Delétang

Traduction de François Victor Hugo
Mise en scène et scénographie : Simon Delétang
Avec : Marina Buyse, Loïc Corbery, Baptiste Delon, Hugues Dutrannois, Sylvain Grépinet, Salomé Janus, Houaria Kaidari, Jean-Claude Luçon, Elsa Pion Julie Politano, Anthony Poupard, Khadija Rafhi, Georgia Scalliet, Stéphanie Schwartzbrod, Alice Trousset et une dizaine de figurants
Son : Nicolas Lespagnol Rizzi
Lumière : Mathilde Chamoux
Costume : Marie-Frédérique Fillion
Collaboration dramaturgique : Julien Gaillard
Durée : 3 heures 30 (avec entracte)
Dès 14 ans

Théâtre du Peuple-Maurice Pottecher • 40, rue du Théâtre • 88540 Bussang
Du 30 juillet au 3 septembre 2022, du jeudi au dimanche à 15 heures
De 8 € à 25 €
Réservations : 03 29 61 50 48 ou en ligne

À découvrir sur Les Trois Coups :
Tarkovski, le corps du poète, de Julien Gaillard, Antoine de Baecque et Andrei Tarkovski, par Trina Mounier
Reportage au Théâtre de Bussang, par Cédric Enjalbert

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