Espace béant, spectacle figé : émotions diluées
Par Lise Facchin
Les Trois Coups
Dans un internat de Téhéran, une jeune fille est accusée d’avoir fait entrer un garçon dans sa chambre. L’interrogatoire mené par la chef de dortoir est le point sur lequel Koohestani construit sa pièce, jouant avec la répétition et le temps. Le choix d’un dispositif de performance aurait sans doute été plus judicieux.
Dans la salle du Théâtre Benoît‑XII, le plateau est nu. Seul un carré de lumière rase le sol côté jardin et un écran de projection occupe le fond de scène. Minimaliste, et froid. Lorsque la pièce commence, une jeune fille répond à des questions que l’on n’entend pas, droite comme un i dans cette aire exiguë de clarté.
L’espace scénique, dans ce spectacle, est presque tué, et ce n’est que vers la fin que le plateau semble avoir un sens. Certainement, Koohestani cherche par là à souligner l’aspect effrayant de la situation d’interrogatoire pour ces deux toutes jeunes femmes. Elles restent fixes, petites phalènes épinglées par les questions qui se succèdent impitoyablement. La logique et l’intérêt d’un tel choix se comprennent sur le papier, mais sur la scène, la débauche de vide est d’emblée déséquilibrée, aride, et sans vie. Le jeu des actrices, pourtant fin, juste, et admirable, accentue cet effet de béance. C’est que le registre est très peu physique, leurs corps bougent à peine, seuls quelques gestes, succincts, discrets, presque arachnéens…
C’est presque comme si le dispositif de Koohestani n’était pas fait pour être joué dans un théâtre. La structuration de l’espace avec une scène, des gradins, et une direction polarisée du regard semble rendre l’ensemble chaotique, fade, et un peu maladroit. La solution aurait sans doute été de modeler radicalement l’architecture de la zone de jeu, pour éviter la dilution des émotions. Même s’il est difficile, au final, de parler d’un tel espace. En effet, les interprètes sont assignées à des endroits fixes (carrés de lumière, pour les jeunes filles et fauteuil dans le public pour l’interrogatrice). Le plateau, ostensiblement, n’est pas un lieu d’interaction et n’a d’autre fonction que de souligner le rapport de pouvoir et sa distance.
Une envolée qui ne vient jamais
L’argument est intéressant et sans nul doute important. Il y a pourtant vers la fin une sorte de dispersion qui nous perd un peu. La structure est celle d’une répétition – l’interrogatoire –, chaque fois brouillée par des variations. La première séquence introduit la vidéo selon un procédé d’utilisation en direct par le truchement d’un casque que s’échangent les interprètes, retransmettant les images ainsi captées. L’effet est parfois surprenant. Rarement esthétique. Cette technique parvient néanmoins à dire quelque chose du rapport au temps, touchant la matière du souvenir et la reconstitution des images a posteriori, les refoulements et ce glissement toujours ténu entre le montré et le caché…
Une ellipse temporelle d’une vingtaine d’années vient déformer la compréhension de la situation au cours de la dernière partie du spectacle. On y apprend que la jeune fille accusée s’est suicidée après le refus de sa demande de prolongation de visa en Suède. Sa compagne d’école est alors seule en scène, et l’interrogatoire prend à ce moment-là des airs d’exorcisme, de retour en arrière pour laver la faute, celle de n’être pas allé témoigner au procès, d’avoir trahi. Sur l’écran, la vidéo permet l’entrée du fantôme, et le dialogue qui s’engage ouvre une porte dans le spectacle, comme un souffle possible. Malheureusement, il ne nous mène pas beaucoup plus loin. Et c’est, au final, un ennui tiède qui nous emporte mollement. ¶
Lise Facchin
Hearing, de Amir Reza Koohestani
Mehr Theatr Group
Mise en scène : Amir Reza Koohestani
Assistance à la mise en scène : Mohammad Reza Hosseinzadeh, Mohammad Khalsari
Avec : Mona Ahmadi, Ainaz Azaroush, Elham Korda, Mahin Sadri
Scénographie : Amir Reza Koohestani, Golnaz Bashiri
Lumière : Saba Kasmaei
Costumes : Negar Nemati, Negar Bagheri
Vidéo : Ali Shirkhodaei
Musique : Ankido Darash, Kasraa Paashaaie
Adaptation surtitrage : Massoumeh Lahidji
Théâtre Benoît‑XII • 12, rue des Teinturiers • 84000 Avignon
Réservation : 04 90 14 14 14
Site : http://www.festival-avignon.com/fr/
Du 21 au 23 juillet 2016 à 15 heures, le 24 juillet à 15 heures et à 20 heures
Durée : 1 h 10
Tarifs : 28 € │ 22 €│ 14 € │ 10 €
Spectacle en farsi surtitré en français et en anglais
Tournée :
- Les 6 et 7 octobre 2016 au Festival des arts de Bordeaux, le Carré, Saint‑Médard‑en‑Jalles
- Les 11, 15, 17 et 19 octobre 2016 au Festival d’automne, Paris
- Les 22 et 23 octobre 2016 au Théâtre Populaire romand, La Chaux‑de‑Fonds (Suisse)
- Les 15 et 16 novembre 2016 au Théâtre de la Vignette, Montpellier
- Les 17 et 18 novembre 2016 aux espaces Pluriels, Pau
- Les 25 et 26 novembre 2016 à Bonlieu scène nationale, Annecy
- Les 1er et 2 décembre 2016 au Trident scène nationale, Cherbourg
- Du 6 au 10 décembre 2016 au C.D.N. de Haute‑Normandie, Rouen
- Les 13 et 14 décembre 2016 à la Comédie de Caen, C.D.N. de Normandie, Caen
- Les 9 et 10 mars 2017 au Tandem, scène nationale, Arras
- Les 16 et 17 mars 2017 au Théâtre d’Arles
- Du 21 au 24 mars 2017 au C.D.N. Besançon – Franche‑Comté
- Les 28 et 29 mars 2017 au T.A.P., Poitiers
- Du 4 au 7 avril 2017 au Lieu unique-Grand T