« Hen », du Théâtre de Romette, « les Envahisseurs », de la Cie Bakélite, 11e Nuit de la marionnette, Festival Marto à Clamart

Hen-Théâtre-de-Romette-Christophe-Raynaud-de-Lage

Voyage interstellaire en pays marionnettique 

Par Léna Martinelli
Les Trois Coups

Presque une nuit blanche ! Jusqu’à 6 heures, plusieurs spectacles se sont enchaînés lors de la 11Nuit de la Marionnette – temps fort qui lance le festival MARTO ! L’occasion de traverser des époques à une vitesse vertigineuse, par-delà les apparences.

Les festivals favorisent les découvertes, avec parfois leur lot de déceptions – le pendant de la prise de risques – mais souvent dans une ambiance chaleureuse. MARTO ! tient généralement ses promesses. En tout cas, les quelques trouvailles repérées le 29 février annoncent une nouvelle décennie, que l’on espère riche en créations. Car le festival fête ses 20 ans !

Promesses de l’aube

Peuplé de personnages étranges, les parcours étaient éclectiques. Le nôtre était composé presque exclusivement de théâtre d’objet. Nous retenons Ersatz, dont nous avons déjà dit beaucoup de bien (lire ma critique ici) : un face à face de l’homme et de l’objet tout à la fois glaçant et loufoque, parce qu’il nous expose le résultat saugrenu issu de l’alchimie de l’homme et de la machine.

Attardons-nous alors sur Hen, qui dépoussière les genres en repoussant les limites : celles de la marionnette, pour public averti, celles du cabaret (queer burlesque) et de l’identité. Le spectacle s’ouvre sur une vision onirique : derrière un praticable surmonté d’un cadre en néon, un personnage flotte, comme en apesanteur, jusqu’à la déchirure d’un voile en plastique. D’entrée, Hen dynamite les conventions ; le transformiste renaîtra sur scène, devant et derrière moult rideaux colorés, de façon bien concrète.

Genre !

Hen nous prévient : il/elle ne va pas se gêner pour chanter sa liberté d’être et d’aimer. Manipulée à vue par deux acteurs, la marionnette ne cesse de nous surprendre. Cette diva chauve et virile à gros seins et bouche dévorante s’exprime effectivement avec une rare audace. Jouant avec les images masculines et féminines, grâce à un corps mutant, cette créature hybride évolue avec insolence au gré de ses envies, surtout sexuelles. D’ailleurs, sa collection de godes est impressionnante.

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« Hen », de Johanny Bert, Théâtre de Romette © Christophe Raynaud de Lage

Le point culminant est le moment où, dans le tango du clitoris, Hen s’abandonne, jusqu’au démembrement. Jamais à cours de surprises, il/elle sait aussi être romantique : « Un jour quelqu’un me serrera tellement fort que ça recollera tous les morceaux ». Homme bodybuildé ou femme pulpeuse, Hen brûle les planches de sa présence magnétique. Que ce soit dans son plus simple appareil ou sa combinaison de latex, revêtue de ses robes moulantes tout en paillettes ou de son cerceau en crinoline, les costumes de Pétronille Salomé sont extraordinaires.

Esthétique, sulfureux, ludique

Le Théâtre de Romette s’appuie sur une ligne de force : l’entre-deux. Le spectacle pose la question organique, viscérale, du genre, donc de l’identité, de la métamorphose et de la difficulté relationnelle. Hen, pronom suédois entré dans le dictionnaire en 2015, permet de désigner indifféremment un homme ou une femme. Il est notamment utilisé dans des manuels scolaires expérimentant une pédagogie moins discriminante.

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« Hen », de Johanny Bert, Théâtre de Romette © Christophe Raynaud de Lage

Plume enlevée, poétique, écriture précise, les chansons (de Brigitte Fontaine, Pierre Notte, Marie Nimier, Prunella Rivière, Gwendoline Soublin, Alexis Morel, Laurent Madiot, Yumma Ornelle) sont grivoises, mais pleines d’humour. De sa voix lascive et envoûtante, Johanny Bert (également auteur et metteur en scène) fait jaillir les mots sans discontinuer, improvise gaiement et s’emballe avec une frénésie grandissante. Il donne chair et pensée à la belle image, en rendant humain ce pantin en mousse qui, non seulement nous captive ou nous effraie, mais nous émeut, d’autant que les deux musiciens (percussionniste et violoncelliste) l’accompagnent magnifiquement en direct.

Bien sûr, le propos qui fait écho à une communauté discriminée et à leurs luttes LGBTQ+, est politique. Mais Hen est avant tout un hymne vibrant à la tolérance, une ode au hors norme. Au beau milieu de cette drôle de nuit, ce beau moment sur le droit à la différence apporte une lueur d’espoir, le rêve d’un avenir meilleur.

Olivier Rannou, as de la « bidouille »

Autre proposition intéressante : les Envahisseurs, dont c’était la première en Île-de-France. Entre la Guerre des Mondes et Mars Attaks !, Olivier Rannou s’amuse à reprendre ces histoires d’invasion extra-terrestres. Avec peu de moyens, il parvient à nous plonger dans un univers digne des plus grands films de science-fiction des années 1950, avec débarquement, soucoupes volantes, déploiement des forces armées.

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« Les Envahisseurs », d’Olivier Rannou, cie Bakélite © Sam Anderson

Soldats en plastique, pudding en gelée vert fluo, micro télévision à antenne satellitaire… Tout se joue sur une table d’à peine 2 m2, avec une rare inventivité, parce qu’Olivier Rannou fait des choses extraordinaires avec des objets tout à fait banals. On est vraiment fan de ses mallettes à malices et de ses effets spéciaux miniatures. Car, grâce à ce petit format, on est au plus près de l’action.

Un ovni tout à fait recommandé, d’autant que la planète rouge continue d’alimenter les fantasmes. Alors que le coronavirus ébranle le monde entier, plusieurs hypothèses (plus ou moins farfelues) sont étudiées concernant l’origine de l’épidémie : maladie transmise par des animaux sauvages, corrélation avec le déploiement de la 5 G, mais aussi libération d’agents pathogènes provenant d’une autre planète, de Mars, plus précisément (comme cet article l’évoque).

Alors, si certains craignent la contamination d’un virus martien, nous, ce sont ces formes de spectacle qui nous piquent à vif. Que ces exploratrices et explorateurs des champs marionnettiques soient en prise directe avec nos préoccupations ou nos fantasmes, ils nous interpellent sur le tumulte et les beautés du monde, sur le besoin de rencontrer l’Autre. Ils nous secouent, quand on aurait besoin d’être bercé. Mais nos nuits n’en sont que plus belles ! 

Léna Martinelli


Ersatz, du Collectif Aïe Aïe 

Site du collectif ici

Conception, mise en scène et jeu : Julien Mellano

Regard extérieur : Étienne Manceau

Lumière et régie : Sébastien Thomas

Hen, du Théâtre de Romette

Site de la compagnie ici

Conception, mise en scène et voix : Johanny Bert

Manipulateurs : Johanny Bert, Anthony Diaz

Musiciens : Ana Carla Maza (violoncelle électro-acoustique), Cyrille Froger (percussionniste)

Pour public averti, à partir de 16 ans

Durée : 1 h 15

Les Envahisseurs, de la Cie Bakélite

Site de la compagnie ici

Conception et interprétation : Olivier Rannou

Aide à la mise en scène : Gaëtan Emeraud

Avec la complicité de : Pascal Pellan, Alan Floc’h, Agnès Dupoirier

Durée : 25 minutes

Tournée ici

Dans le cadre de la 11Nuit de la marionnette

Samedi 29 février 2020, de 20 heures à 6 heures

Théâtre de Clamart • Hors les murs • Chapiteau du Théâtre Jean Arp • Stade Hunebelle • 92140 Clamart

Dans le cadre du Festival MARTO, 20édition

Dans huit villes des Hauts-de-Seine, du 29 février au 14 mars 2020

Pass MARTO : 3 spectacles 24 € (8 € la place supplémentaire)
Spectacle : de 8 € à 17 €


À découvrir sur Les Trois Coups :

☛ 11Nuit de la Marionnette, par Léna Martinelli

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