« Ici », de Jérôme Thomas, Markus Schmid, Pierre Bastien, le Centquatre à Paris

Ici © Christophe Raynaud de Lage

Icare au Centquatre

Par Laura Plas
Les Trois Coups

Inclassable ? Dérangeant et dissonant ? N’allez pas plus loin : c’est « Ici ». Et cet air libertaire n’est pas pour déplaire quand il s’agit d’évoquer l’univers carcéral. Dynamiteurs identifiés : Jérôme Thomas, Markus Schmid et Pierre Bastien. Trois Icare ne sont pas de trop pour prendre la tangente de l’imagination !

« Un spectacle libre sur la contrainte » : c’est de cette manière que Jérôme Thomas caractérise Ici. Par contrainte, on entendra d’abord celle de l’enfermement. Très loin, à l’origine de ce spectacle, il y a, de fait, le souvenir d’interventions à Fleury-Mérogis. Or, en prison, les perceptions sont différentes, comme les codes. L’intelligence des trois acolytes d’Ici consiste à faire ressentir cette perception particulière. Dans chaque tableau, Markus Schmid et Jérôme Thomas apparaissent avec un organe postiche (nez, oreille, bouche) qui éveille une perception en grand.

C’est le travail sur le son qui est néanmoins le plus saisissant. Comme on entend tout de la cellule peu isolée, quand il n’y a rien d’autre à faire, l’hypersonorisation fait ici percevoir jusqu’à la migraine « le bruit des trousseaux » *. Il n’est jusqu’aux barreaux de la cellule qui ne vibrent comme des cordes que l’on pince. Assurément, ce n’est pas agréable, ce n’est pas fait pour « faire joli ». Angoissant, donc, mais parlant, d’autant que ce travail, œuvre du plasticien sonore Pierre Bastien, associe le son au mécanisme. Nous voici alors dans une machine pour qui l’homme n’est qu’un accident. Machine carcérale à broyer l’humain ? Machine sociale de nos temps trop modernes ?

Tapis volants de l’imagination

De la prison, Jérôme Thomas et Markus Schmid retiennent encore la contrainte de la pauvreté. Tout vous est enlevé quand vous passez les sas. Pas possible de faire du « grand spectacle ». Il faut trouver de nouvelles voies. Un grand plastique, un seau, trois fourchettes suffisent. Les choses ne sont pas ce qu’elles paraissent. La paroi qui bouche l’horizon peut se faire touche d’un orgue géant, ou tapis volant. Une feuille en format A4, et nous pouvons voler comme Icare. Car le ciel est par‑dessus le toit, si proche. Peu à peu, l’espace se diffracte ainsi dans le spectacle. La table autour de laquelle on lutte devient bande, devient boîte ouverte, tandis que les corps se libèrent de leur gangue de lutteurs. Incontestablement, ça marche.

Étirement du temps, stridence, répétitions, efforts vains : c’est l’univers d’Ici. On n’est pas dans le spectacle de confort. Pourtant, l’humour pince-sans‑rire s’invite sans un mot, et la beauté malgré tout passe en contrebande dans les territoires de l’imagination. Ici s’achève sur des images plastiquement saisissantes, dignes du cinéma expressionniste. Une immense machine – que m’on pourrait rapprocher de celle, si mystérieuse, de notre cerveau – engendre des visions de phalènes et d’envols. Comme le dit Jérôme Thomas (et Gide avant lui), l’art naît de contraintes. 

Laura Plas

* Titre d’un ouvrage biographique de Philippe Claudel relatant son expérience d’ateliers d’écriture en prison.


Ici, de Jérôme Thomas, Markus Schmid, Pierre Bastien

Avec : Jérôme Thomas et Markus Schmid

Musique et création des machines musicales : Pierre Bastien

Pilotage des machines en direct et création sonore : Yvan Roussel

Lumière et scénographie : Bernard Revel, assisté de Dominique Mercier‑Balaz

Costumes et accessoires : Emmanuelle Grobet

Régie générale et plateau : Julien Lanaud

Construction décor et machinerie de scène : Franck Tenot, atelier Prelud, Olivier Gauducheau, Basile Bernard

Photo : © Christophe Raynaud de Lage

Le Centquatre • 5, rue Curial-104, rue d’Aubervilliers • 75019 Paris

Site du théâtre : www.104.fr

Réservations : 01 53 35 50 00

Du 28 au 31 mars 2012 à 20 heures, le 1er avril 2012 à 17 heures, salle 200

Durée : 55 minutes

20 € | 15 € | 12 € | 8 €

Du 3 au 14 avril 2012 au Monfort à 20 h 30

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