Illusions perdues, Paris gagnés !
Par Laura Plas
Les Trois Coups
Après l’épopée, la comédie humaine ! Pauline Bayle relève le défi d’adapter « Illusions perdues » de Balzac, roman aussi tentaculaire et fourmillant que le Paris qu’il dépeint. Une adaptation réussie où s’exprime l’amour des lettres et des acteurs, tout autant que le talent de Balzac.
L’auteur est de saison : à l’affiche des cinémas, on découvrira bientôt Eugénie Grandet. Quant aux Illusions perdues, que la Compagnie À Tire-d’aile met ici en scène, elles sont portées à l’écran par Xavier Giannoli. Car cette œuvre offre un miroir à nos temps de dérégulation libérale effrénée, temps fait pour les ambitieux sans vergogne, temps de piétinement des idéalistes. Mais dans son adaptation, Pauline Bayle rend aussi hommage à un roman où se déploie l’art que possède Balzac de faire vivre des humains, plutôt que des idées abstraites.
Des humains et donc des personnages. C’est une belle partition pour ces comédiens que Pauline Bayle aime tant mettre au centre de son travail. Ils sont cinq à donner vie à une galerie de figures : provinciaux et Parisiens, « journaleux » et poètes, amis d’un jour et ennemis du lendemain. Ils prêtent leurs corps, surtout à ce monstre qu’est Paris, Méduse dont le visage fascine mais qui ne connaît pas la pitié. Et ils portent l’adaptation. On saluera en particulier le talent de Guillaume Compiano et Alex Fondja, dont le jeu convainc par la finesse. Mais peu à peu, l’incarnation de leurs partenaires, d’abord un peu forcée, se nuance à son tour. Et la dernière heure de la pièce leur offre de beaux moments.
En tous cas, ils sont tous mis en valeur par le dépouillement du plateau. La scénographie se réduit en effet à un carré de terre battue qui pourrait faire songer à l’espace vide de Peter Brook comme à un ring. Ici s’affrontent les personnages sous les regards des spectateurs, dont la disposition quadrifrontale semble évoquer les rets de l’opinion publique. Dans cet espace nu, chaque déplacement suggère des rapports de forces, suffit à symboliser un changement d’alliances. Mais, avant tout, ce vide laisse la place à cet imaginaire que le roman nourrit si bien. Précieuse liberté.
Divine comédie
La lumière, quant à elle, habille le plateau. Et l’ombre est territoire de poésie et de théâtre. Elle rappelle les paupières que Lucien ferme pour déclamer avec ferveur ses poèmes lors d’un beau prélude au spectacle. On la retrouve quand la poésie de Keats et Verhaeren s’invite sur le plateau ouvrant une autre dimension : celle de la création sans compromis. Ces moments-là, très esthétiques, sont associés au personnage de Coralie, comédienne et amour de Lucien. Ainsi, c’est comme si la poésie tant aimée prenait le visage du théâtre, comme si Pauline Bayle nous murmurait dans l’obscurité son amour des planches.
D’amour, il est aussi question dans le traitement des personnages. Ils sont peut-être lâches, parfois veules, arrivistes. Ils ne sont pourtant pas condamnés. Et sur ce point également on retrouve la complexité romanesque. Enfin, l’adaptation se bigarre encore de divers registres : si la satire est d’abord prégnante, elle laisse peu à peu place à l’émotion tragique. Dans ces scènes, Jenna Thiam vibre particulièrement.
Pauline Bayle réussit donc à être fidèle à Balzac mais aussi à elle-même. Elle nous offre le désir précieux de nous (re)plonger dans la divine comédie balzacienne ! ¶
Laura Plas
Illusions perdues, d’après Honoré de Balzac
Mise en scène : Pauline Bayle
Assistante à la mise en scène : Isabelle Antoine
Scénographie : Pauline Bayle, Fanny Laplane
Avec : Hélène Chevallier, Guillaume Compiano, Alex Fondja, Jenna Thiam, Charlotte Van Bervesselès et la participation de Pauline Bayle, en alternance avec Viktoria Kozlova
Durée : 2 h 30
À partir de 14 ans
Théâtre de la Bastille • 76, rue de La Roquette • 75011 Paris
Du 13 au 18 septembre 2021 à 20 heures et du 20 septembre au 16 octobre à 21 heures (relâches les dimanches)
De 11 € à 25 €
Réservations : 01 43 57 42 14
À découvrir sur Les Trois Coups :
☛ Iliade-Odyssée, d’après Homère, théâtre de la Bastille, à Paris, par Laura Plas