L’amour aux trousses
Par Michel Dieuaide
Les Trois Coups
Julie Ménard à l’écriture, Maxime Mansion à la mise en scène, et le groupe Klone à la musique live, pour un théâtre de résistance inaltérable.
Dans un hangar glauque, où un ensemble de rock métal donne un concert, Sil et Mia se rencontrent. Lui, dont le prénom fait presque la moitié du mot « silence », sature sa guitare basse de riffs assourdissants. Elle, dont le prénom pourrait se transformer en « ami », se jette dans ses bras corps et âme. Ainsi commence une histoire d’amour, pleine de bruit, d’alcool, de sexe et de fureur, entre deux êtres en quête d’absolu.
Mais voici qu’une guerre éclate. Les musiciens se séparent. Sil et Mia décident de fuir pour ne pas crever et, semblables aux migrants d’aujourd’hui, ils tentent de survivre à la misère, à la fermeture des frontières, aux violences policières et au dérèglement de leurs relations. Au terme de leur errance, à la fois choisie et forcée, une impressionnante pluie s’abat sur eux. Tempête de sable qui les condamne au désert perpétuel des réfugiés ? Déluge régénérant qui leur redonne le désir de s’aimer et d’avoir un enfant ? La puissance poétique de cette dernière séquence laisse le choix au spectateur.
Les yeux grands ouverts
« Inoxydables » est né d’un besoin impératif d’écrire sur l’exil. Le style de Julie Ménard est acéré, cru et dynamique : séquences courtes, répliques et ellipses percutantes sont les solides fondations d’un théâtre engagé, pétri d’humanité. L’autrice adresse à tous un avertissement urgent sur les dangers qui guettent les sociétés où exclusion et fanatisme rôdent à visage découvert.
Maxime Mansion, le metteur en scène, s’approprie avec force et lucidité le regard que lui propose la dramaturge. Comme elle, il choisit de ne pas fermer les yeux. Sur une surface sobre et noire qu’habite, un temps, le praticable d’une formation rock et que ferme continûment un mur dégradé en forme de frontière, il installe des situations qui font alterner, avec porosité, le chaos et l’harmonie. À l’instar d’un preneur de son sur un tournage de cinéma, il utilise une perche mobile, mais de lumière. Il découpe et scande ainsi le temps et l’espace, suivant au plus près le jeu des acteurs. Formidable et inventive écriture scénique s’accordant parfaitement avec les émotions de personnages constamment en fuite.
S’ajoute à cela la qualité des interprètes. Juliette Savary (Mia) est sidérante de spontanéité. Qu’elle soit ivre, désespérée, déterminée ou amoureuse, elle met en chair et en voix une jeune femme complexe dont la sensibilité exacerbée bouleverse. Antoine Amblard (Sil) impose un naturel époustouflant de vérité. Son aisance corporelle, sa simplicité d’expression, sa résistance aux coups de l’adversité participent à la construction d’un personnage attachant. Fou de musique et d’amour, il incarne un homme porteur d’idéal, même dans les moments les plus tragiques de son parcours d’exilé. Reste à souligner la performance du groupe Klone. À l’aise dans la musique live exécutée en concert comme dans l’accompagnement des séquences imaginaires, ils apportent au propos du spectacle le supplément de puissance indispensable. ¶
Michel Dieuaide
Inoxydables, de Julie Ménard
Mise en scène : Maxime Mansion
Avec : Antoine Amblard et Juliette Savary
Création musicale et musique live : Guillaume Bernard, Aldrick Guadagnino, Yann Ligner, fondateurs du groupe Klone
Création sonore : Quentin Ligner
Création lumière : Lucas Delachaux
Scénographie : Amandine Livet
Costumes : Paul Andriamanana Rasoamiaramanana
Production : Mathilde Gamon
Production : En Acte(s)
Coproduction : Théâtre national populaire
Avec le soutien de : La Mouche-Saint-Genis-Laval
Théâtre national populaire • 8, place Lazare-Goujon • 69627 Villeurbanne cedex
Réservations : 04 78 03 30 00
Du 20 mars au 6 avril 2019
Du mardi au samedi à 20 h 30, le jeudi à 20 heures, le dimanche à 16 heures
Durée : 1 h 20
De 14 € à 25 €