« Introspection » et « Appel au secours », de Peter Handke, Théâtre du Point‐du‑Jour à Lyon

Introspection © D.R.

La parole comme matière à penser

Par Trina Mounier
Les Trois Coups

Ce sont deux textes très courts de Peter Handke qui font partie des quatre pièces parlées qu’il ait écrites. Ce sont des étranges objets littéraires qui n’ont de pièce que le nom. Gwenaël Morin (celui des Laboratoires d’Aubervilliers) a choisi de les monter pour son retour sur la scène du Point‑du‑jour, avant « Hamlet » dans un mois.

Introspection est une longue suite de toutes les actions simples qui composent la vie d’un individu, des tout premiers instants de sa naissance à l’arrivée dans la salle de spectacle. Chaque action est la plus petite possible, permettant une liste immense (je bouge mes doigts, j’ouvre mes paupières, je commence à comprendre des mots…) de propositions très courtes donnant un rythme répétitif et lancinant. Les verbes sont à la première personne.

Appel au secours est aussi une liste, litanie sans ordre manifeste de recommandations, préconisations, interdictions, mises en garde (ne pas dépasser la dose prescrite, fermer la porte en sortant) qui jalonnent notre vie sans qu’on n’y prenne garde et la résument à un ensemble oppressant, asphyxiant pour le sujet jusqu’à l’irrépressible « Au secours ! ».

Ces deux textes sont, à la manière de certains opuscules ou dramuscules de Samuel Beckett, de la matière à penser, plus proches de la philosophie que du théâtre à proprement parler. Mais, comme chez Beckett, c’est précisément leur apparente inanité qui crée du sens et de l’inquiétude. Et c’est leur répétition qui donne de la force au propos, particulièrement au « non » qui ponctue chaque recommandation d’Appel au secours, propulsant chaque refus à la manière d’un acte de résistance.

À la manière d’un chœur

C’est là qu’intervient la mise en scène très intelligente de Gwenaël Morin. La mise en espace très sobre s’allie à une grande économie de moyens qui confine à l’austérité, aux antipodes de ce que la société appelle habituellement le « spectacle » (plateau nu, ni décors, ni costumes autres que ceux qu’ils portent à la ville, ni accessoires, ni maquillages, ni artifices). Il fait dire le texte par une quinzaine d’acteurs (parfois moins, cela dépend des représentations) pour Introspection, une vingtaine pour Appel au secours. Placés l’un à côté de l’autre face aux spectateurs, ils disent ensemble ces mots à la manière d’un chœur, créant un effet de masse qui contraste avec l’utilisation du « je » dans la première pièce (et en même temps lui donne une portée universelle), qui renforce l’impression de tyrannie et d’obéissance obligatoire dans le second. De la parole collective surgit, plus puissante, la parole individuelle.

Parfois, un soliste s’échappe et reprend seul une phrase, lui donne sa coloration personnelle. À l’autre bout du rang, un second le rattrape, met sa voix dans la sienne. Puis un troisième. Puis ce sont les femmes, puis seulement les hommes. Puis l’intensité varie, du chuchotement au cri qui évoque la colère, la révolte, d’autant plus impressionnante qu’elle sort de tant de bouches à l’unisson, puis retombe. C’est aussi le rythme qui varie, la scansion est lente puis se fait rapide, devient inaudible tant elle est précipitée.

Oui, ce sont des chœurs, et donc de la musique, ou même du bruit (incroyable comme la vie est bruyante), mais aussi des paroles d’hommes. Et jamais on ne les a si bien entendues, avec toute leur richesse sémantique. C’est, bien sûr, une performance d’acteurs qui interdit tout cafouillage et requiert un ensemble parfait, un engagement total des comédiens. C’est enfin et surtout un théâtre inventif et diablement intelligent. 

Trina Mounier


Introspection et Appel au secours, de Peter Handke

L’Arche est éditeur et agent théâtral du texte représenté

Une proposition de Gwenaël Morin

Cie Gwenaël‑Morin • 14, rue Basse‑Combalot • 69007 Lyon

Contact : Élodie Maimene-Érard | 06 03 23 73 49

Traduction : Jean Sigrid

Assistante : Elsa Rooke

Avec : Mounira Barbouch, Mélanie Bourgeois, Katell Daunis, Clémentine Desgranges, Kathleen Dol, Arthur Fourcade, François Gorrissen, Clara Hedouin, Maud Lefebvre, Alexandre Michel, Lucile Paysant, Gianfranco Poddighe, Thomas Poulard, Béatrice Venet

Et avec, en plus pour Appel au secours, Véronique Besançon, Dominique Blaise, Fabrice Cazin, Marion Garcia, Pierre Germain, Sophie Madonna, Brahim Tekfa, Maud Vandenberghe

Photo : « Introspection » © Stéphane Janou

Théâtre du Point‑du‑Jour • 7, rue des Aqueducs • 69005 Lyon

www.lepointdujour.fr

Réservations : 04 78 15 01 80

Du 16 au 28 janvier 2012

Durée : 55 min

Tournée :

  • T.U./Théâtre universitaire de Nantes : 8 et 9 mars 2012
  • Amphithéâtre de Pont‑de‑Claix : 15 et 16 mars 2012

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