Une Atride affadie
Par Lorène de Bonnay
Les Trois Coups
Iphigénie, petite-fille d’Atrée touchée par la faute originelle de sa famille, est une figure de l’innocence sacrifiée des plus émouvantes. Pourtant, la jeune Atride de Chloé Dabert ne suscite pas le pathétique attendu. Cette « Iphigénie » n’est pas de la même lignée que « Thyeste », qui se joue à quelques rues.
La tragédie de Racine, peu montée, s’intéresse au lien entre Agamemnon et sa fille adorée : le chef de guerre doit tuer Iphigénie pour que les Dieux permettent au vent de conduire la flotte à Troie. Quel est le pouvoir du roi face au divin caché ? Quelle est la place de cette jeune fille dans la famille, la nation et face aux hommes ? Cette relation meurtrière, ainsi que les nombreuses questions qu’elle soulève, sont trop peu mises en lumière dans la proposition de la jeune metteuse en scène.
Le puissant Agamemnon, malmené par l’arbitraire des dieux, manque de charisme et verse trop dans la médiocrité. Celui qui est censé être sujet de la pièce reste secondaire. Le comédien semble mal comprendre les vers qu’il prononce, ses déplacements manquent de fluidité, son dilemme laisse froid. Heureusement, Iphigénie, interprétée par Victoire du Bois, se révèle plus intéressante, comme les autres femmes sur le plateau d’ailleurs. Ballotée entre un roi et un demi-dieu (son fiancé Achille), dans un camp militaire gorgé de guerriers dans l’attente et prêts à en découdre, sur une plage, elle déploie quelques armes verbales et physiques. Mais son jeu aurait pu gagner en nuances, en complexité, dirigée autrement.
La scénographie, assez épurée, aurait pu l’être davantage, dans un espace aussi poétique que le cloître des Carmes. Les murs sont recouverts d’un filet de camouflage militaire qui peut aussi faire songer à de l’écume. Des néons sont enfoncés dans le sable. Surtout, un échafaudage s’élève à cour, en guise de mirador surveillant le camp et la mer. Cet élément moderne, métallique, assez laid, figure de nombreux espaces : une pièce de repos, une chambre, un lieu surplombant. On ne comprend pas toujours pourquoi. Les personnages en empruntent les escaliers, se dissimulent dans un recoin, restent prostrés à un étage, sans que leurs actions, sur ce mirador, semblent nécessaires sur le plan dramaturgique. Cela dit, les éclairages et les projections magnifient les grappes de roseaux sur le plateau et le filet ivoire qui tremble sur les façades. La création sonore scande joliment la progression de la pièce. Les costumes modernes, dans les tons verts ou bleus, se fondent dans cet univers minéral et maritime, intemporel, guerrier. Celui des femmes comporte des éléments en cuir leur donnant une petite allure d’Amazones. L’univers est cohérent mais n’ébranle pas.
Chloé Dabert explique que « c’est la contrainte de l’écriture qui initie le jeu ». Le travail sur la langue racinienne, son rythme, sa ponctuation, a donc guidé le travail. Sans doute l’appropriation du texte classique par les acteurs est-elle inégale, inachevée, voire contestable. Certaines liaisons, pauses, intonations pour signaler tel groupe de mots, n’étaient pas utiles à la diction des vers – ils donnent parfois l’impression de trucider ou d’opacifier l’alexandrin.
Surtout, la proposition de mise en scène est fade. Sans doute eût-il fallu tirer davantage deux fils : celui des femmes guerrières et celui de l’oracle (la religion, les idéologies justifient les pires crimes). Enfin, il fallait trouver le moyen d’incarner la monstruosité très humaine du héros tragique, « laissant aux dieux opprimer l’innocence ». ¶
Lorène de Bonnay
Iphigénie, de Jean Racine
Texte de Jean Racine publié aux éditions Gallimard
Mise en scène : Chloé Dabert
Avec : Yann Boudaud, Bénédicte Cerutti, Victoire Du Bois, Servane Ducorps, Olivier Dupuy, Sébastien Eveno, Julien Honoré, Arthur Verret
Durée : 2 h 30
Photo © Christophe Raynaud de Lage
Cloître des Carmes • place des Carmes • 84000 Avignon
Dans le cadre du Festival d’Avignon
Réservations : 04 90 14 14 14
Du 9 au 15 juillet 2018 à 22 h 30, relâche le 11
De 10 € à 30 €